Les configurations kaléidoscopiques de l’adresse et les avatars du lecteur-auteur dans les Confessions of an English Opium-Eater (1821) de Thomas De Quincey

Françoise Dupeyron-Lafay

Université de Paris Est — Créteil

  1. Faisant suite à l’étude « Les écrits autobiographiques de Thomas De Quincey : je, tu, il. Fragmentation et spectralisation du moi1 », qui abordait la question épineuse de l’identité et des contours flous de l’auteur et du narrateur, cet article s’attachera à étudier son corrélat, à savoir la nature non moins problématique du lecteur et du narrataire des Confessions of an English Opium-Eater (1821) dont l’ouverture est d’ailleurs intitulée, « To the Reader » et qui débute par ces mots : « I here present you, courteous reader, with the record of a remarkable period in my life […] » (1). Il s’agira donc de mener une réflexion sur le statut du lecteur et sur ses variantes, notamment ce « you » si omniprésent dans le texte, sur leur fonction et leur signification exactes.

  2. Les Confessions sont jalonnées de dialogues avec un lecteur protéiforme (désigné par toute une série d’adjectifs de circonstance) qui semble initialement être une entité distincte de l’auteur. C’est ce que John C. Whale étudie de manière éclairante au chapitre 5 de Thomas De Quincey’s Reluctant Autobiography, quand il dégage et analyse minutieusement la « structure flexible » du texte, « l’interaction créative avec le lecteur » (162) et ses différents rôles (médiateur, observateur passif, participant, et « outsider »), mais sans paraître néanmoins envisager la possibilité que ce lecteur soit un avatar de l’auteur.

  3. Je souhaiterais montrer ici que ce lecteur est un véhicule métafictionnel, plus qu’un véritable destinataire, et qu’il s’agit d’un pur artefact, d’une construction rhétorique habile qui vise à assurer le dynamisme, la cohérence logique du texte, et — c’est en cela que réside l’ironie ou le paradoxe — renforce son pouvoir de conviction, sa crédibilité, son « réalisme ». Rappelons que dans l’incipit, l’auteur appelle les Confessions « a record », terme qui postule clairement la notion d’un récit ou d’un compte rendu véridique et factuel, et qui exclut l’idée de fiction et d’invention. Mais nous en venons peu à peu à penser que l’identité de ce « reader/you » qui habite, pour ne pas dire hante, les Confessions dépasse le statut d’outil narratif et recoupe le plus souvent celle de son créateur, de sorte que le prétendu dialogue n’est rien d’autre que le monologue déguisé d’un ventriloque. Nous verrons par ailleurs que l’usage des pronoms I, you et he rend la délimitation malaisée entre l’auteur et « l’autre » car ils deviennent par moments interchangeables. L’adresse s’exerce de manière kaléidoscopique dans les Confessions, du fait de la nature plurielle et instable du « lecteur » intradiégétique — si tant est qu’il existe —  et de l’auteur. Nous montrerons donc un dépassement troublant de la problématique de la dualité, inhérente à l’écriture autobiographique et au dialogue (théorique) avec un lecteur pluriel qui n’est peut-être que l’une des multiples persnae de son créateur.

  4. Les mots « reader » et « readers » reviennent avec une fréquence remarquable dans l’ensemble du texte qui, sur un total de quatre-vingts pages à peine, en comporte soixante-douze occurrences : soixante-trois fois sous la forme « reader » au singulier et neuf fois au pluriel ; tantôt « the reader », tantôt « my reader », souvent en fonction du degré d’empathie recherché, outre quatre-vingt sept apparitions de « you », et deux de « the public », sorte d’équivalent de « readers » au pluriel, mais sur un mode plus collectif, anonyme et semble-t-il moins intime, également. Ainsi, De Quincey se sent-il apparemment obligé d’insister sur la relation paradoxalement « privée » qu’il entend instaurer avec ce « public » quand il définit son entreprise de confession comme l’énonciation d’un secret chuchoté à l’oreille de son auditoire : « the public (into whose private ear I am confidentially whispering my confessions » (61). De fait, sous sa forme adjectivale, « public » peut être associé aux mots « eye » (« I have for many months hesitated about the propriety of allowing this or any part of my narrative to come before the public eye », 1), « notice » (« Guilt and misery shrink, by a natural instinct, from public notice », 1) ou « ear » (« the succession to these dignities is so rapid that the public ear seldom has time to become familiar with them », 12) qui introduisent les notions d’observation (quasi scrutatrice, voire hostile), de jugement, et de rumeur, et qui font de ce public une entité moins bienveillante que ne semble au premier abord l’être ce « lecteur » si omniprésent dans le texte des Confessions.   

  5. Les Confessions sont jalonnées et ponctuées par ces dialogues récurrents avec un lecteur pluriel auquel l’auteur prête toute une série de sentiments et de réactions et qu’il fait régulièrement parler, poser des questions, ou soulever des objections. De Quincey emprunte à plusieurs modèles : la rhétorique antique, la littérature confessionnelle à laquelle renvoie le titre, le roman du XVIIIe siècle (et ses visées édifiantes et instructives), mais aussi, au courant métafictionnel illustré par Sterne, dans The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman (1760-67) ou dans Jacques le Fataliste de Diderot (écrit en 1773 mais publié en 1796), dans le cas des mises en scène dialogiques des relations entre le narrateur et le lecteur.

  6. Ce lecteur apparaît initialement comme une entité protéiforme distincte de l’auteur qui lui associe divers adjectifs — par exemple « courteous » (1), « most logical » (46), « I hope indulgent » (50), « good » (51), « patient » (52) — qui ressortissent bien souvent, sur le mode ironique et parodique, à la technique de la captatio benevolentiae dont le chapitre I de Tristram Shandy constitue un paradigme.

Therefore, my dear friend and companion, if you should think me somewhat sparing of my narrative on my first setting out—bear with me,—and let me go on, and tell my story my own way:—Or, if I should seem now and then to trifle upon the road,—or should sometimes put on a fool's cap with a bell to it, for a moment or two as we pass along,—don't fly off,—but rather courteously give me credit for a little more wisdom than appears upon my outside;—and as we jog on, either laugh with me, or at me, or in short do any thing,—only keep your temper.2

  1. Comme Tristram Shandy, et sur un ton plus ou moins badin selon les cas, De Quincey fait mine de se préoccuper du confort et du plaisir de son lecteur, et de s’excuser de ses tendances digressives et dilatoires même si, en réalité, il affirme assez nettement la primauté de sa propre affectivité qui conditionne à elle seule le rythme de la narration en fonction d’impératifs subjectifs et intimes :

I dally with my subject because, to myself, the remembrance of these times is profoundly interesting. But my reader shall not have any further cause to complain, for I now hasten to its close. (30 ; c’est moi qui souligne)

Courteous, and I hope indulgent, reader (for all my readers must be indulgent ones, or else I fear I shall shock them too much to count on their courtesy), having accompanied me thus far, now let me request you to move onwards for about eight years; that is to say, from 1804 (when I have said that my acquaintance with opium first began) to 1812. (50 ; italiques présentes dans le texte)

  1. Dans ces deux exemples, où il s’agit pour De Quincey de s’assurer de la bienveillance de son lecteur, celui-ci est désigné par l’adjectif possessif « my » aux effets propitiatoires théoriques. Ceci ne saurait néanmoins totalement masquer une volonté de domination et de contrôle dudit lecteur ; de fait, même si l’humour et le ton bienveillant occultent partiellement cette dimension, le lecteur apparaît bien comme la propriété et le jouet de l’auteur.

  2. L’humour pince-sans-rire et la dérision sont un autre point commun avec Tristram Shandy ; ils caractérisent nettement la description de l’apothicaire du Panthéon qui avait vendu à De Quincey sa première dose d’opium en 1804 mais dont, par la suite, il n’avait pu retrouver la trace : « The reader may choose to think of him as possibly no more than a sublunary druggist; it may be so, but my faith is better : I believe him to have evanesced » (38 ; c’est moi qui souligne). Mais ici, et dans la citation qui suit, où l’auteur fait censément acte de contrition, ce n’est plus « my reader » qui est utilisé, mais c’est de nouveau l’article défini « the » qui est associé au lecteur.

Nevertheless, I have a very  reprehensible way of jesting at times in the midst of my own misery; and unless when I am checked by some more powerful feelings, I am afraid I shall be guilty of this indecent practice even in these annals of suffering or enjoyment. The reader must allow a little to my infirm nature in this respect; and with a few indulgences of that sort I shall endeavour to be as grave, if not drowsy, as fits a theme like opium, so anti-mercurial as it really is, and so drowsy as it is falsely reputed. (39 ; c’est moi qui souligne)

  1. Comme Tristram Shandy qui ne cesse d’interpeller et de solliciter son lecteur qu’il appelle à l’occasion « Sir », De Quincey, véritable metteur en scène et régisseur, attribue donc des rôles déterminés à ce lecteur : dans la section extrêmement visuelle et picturale intitulée « Introduction to the Pains of Opium » et écrite au présent, il fait de lui un compagnon, un témoin et un interlocuteur censé poser des questions. Il invite ce lecteur à parcourir et à visiter avec lui la galerie de tableaux qui résume sa vie entre 1804 et 1816, le traitant en intime et en hôte de marque mais aussi à l’occasion avec une certaine désinvolture :

And what am I doing among the mountains? Taking opium. Yes; but what else? Why reader, in 1812, the year we are now arrived at, as well as for some years previous, I have been chiefly studying German metaphysics in the writings of Kant, Fichte, Schelling, &c. […] Am I married? Not yet. And I still take opium? On Saturday nights. […] in short, how do I do? Why, pretty well, I thank you, reader; in the phrase of ladies in the straw, “as well as can be expected.” In fact, if I dared to say the real and simple truth […] I hope sincerely that the quantity of claret, port, or “particular Madeira,” which in all probability you, good reader, have taken […] may as little disorder your health as mine was disordered by the opium (51)

But now comes a different era. Move on, if you please, reader, to 1813.  In the summer of the year we have just quitted I have suffered much in bodily health from distress of mind connected with a very melancholy event. This event being no ways related to the subject now before me, further than through the bodily illness which it produced, I need not more particularly notice. (52 ; c’est moi qui souligne)

  1. L’hypallage « melancholy event » attire justement l’attention sur cet événement majeur que De Quincey s’obstine à vouloir passer sous silence (il s’agit de la mort de la petite Catherine, ou Kate, Wordsworth, âgée de quatre ans à peine, en juin 1812). Cette réticence va de pair avec une attitude défensive (et donc offensive) qui consiste à attaquer avant d’être attaqué, à prendre les devants et à anticiper les questions et les objections pour prendre le lecteur-adversaire de vitesse.

[…] and from this date [1813] the reader is to consider me as a regular and confirmed opium-eater […].—You understand now, reader, what I am […]. No; I give notice to all, whether moralists or surgeons, that whatever be their pretensions and skill in their respective lines of practice, they must not hope for any countenance from me, if they think to begin by any savage proposition for a Lent or a Ramadan of abstinence from opium. This, then, being all fully understood between us, we shall in future sail before the wind. Now then, reader, from 1813, where all this time we have been sitting down and loitering, rise up, if you please, and walk forward about three years more. Now draw up the curtain, and you shall see me in a new character. (54)

  1. L’auteur présente un échantillonnage des différents rôles qu’il a joués entre 1804 et 1816 : étudiant (50), philosophe (se consacrant à l’étude de la métaphysique allemande, 51), érudit adonné à l’étude (« as a scholar and a man of learned education », 51), « gentleman » (51) et mangeur d’opium, etc. De même qu’il effectue par ce biais une mise en scène de l’acte autobiographique, de même, il attribue à son lecteur des rôles, et des significations changeantes, finissant par le promouvoir peintre à des fins théoriques d’économie et de concision narratives :

But here, to save myself the trouble of too much verbal description, I will introduce a painter, and give him directions for the rest of the picture. […] but as the reader now understands that it is a winter night, his services will not be required except for the inside of the house. […]

Paint me, then, a room seventeen feet by twelve, and not more than seven and a half feet high. This, reader, is somewhat ambitiously styled in my family the drawing-room; but […] it is also, and more justly, termed the library […]. Therefore, painter, put as many [books] as you can into this room. (60 ; c’est moi qui souligne)

  1. Ce peintre auquel De Quincey donne des instructions très précises et le lecteur, jusqu’ici abondamment sollicité dans le texte, sont en fait interchangeables comme en témoignent dans la citation qui précède les apostrophes « reader » et « painter », souvent associées à des formes impératives. Et le « my good painter » (60) ne peut manquer de rappeler le « good reader » de la page 51 (déjà cité). La suite logique, après la peinture de l’intérieur de Dove Cottage, est celle de son occupant, mais la manière dont il s’objective, comme s’il désignait une pièce de mobilier, et son emploi soudain de la troisième personne créent un changement tonal saisissant et une rupture (unilatérale) du pacte (tacite) qui semblait en vigueur jusqu’ici : « and the next article brought forward should naturally be myself—a picture of the Opium-eater, with his little golden receptacle of the pernicious drug » lying beside him on the table. » (61) Il y a rupture du pacte et dépassement du régime de la dualité car De Quincey pousse donc très loin l’art de la dérobade, à la fois en refusant que son portrait soit exécuté et en multipliant ses personae, sur le mode de la juxtaposition incompatible et contradictoire, ce qui le rend insaisissable :

But as to myself,—there I demur. I admit that, naturally, I ought to occupy the foreground of the picture; that being the hero of the piece, or (if you choose) the criminal at the bar, my body should be had into court. This seems reasonable; but why should I confess on this point to a painter? Or why confess at all? If the public (into whose private ear I am confidentially whispering my confessions, and not into any painter’s) should chance to have framed some agreeable picture for itself of the Opium-eater's exterior […] why should I barbarously tear from it so pleasing a delusion—pleasing both to the public and to me? No; paint me, if at all, according to your own fancy […] (61).

  1. Le lecteur, qu’il s’agisse du « peintre » envisagé ici, du « public », ou d’autre chose encore, constitue à l’évidence plus un outil ou un véhicule métafictionnel qu’un véritable destinataire, et s’apparente en quelque sorte à une marionnette de ventriloque. Comme le souligne à juste titre F. Lavocat :

la simulation continue longtemps à exercer son emprise, mais d’une façon ambivalente qui tient encore du paradoxe, mais d’une autre sorte. Elle se retourne en effet volontiers en son contraire : au 18e siècle, par exemple, les déclarations de factualité deviennent topiques et sont lues au rebours, comme des affirmations de fictionalité3.

  1. Le lecteur de De Quincey est une construction rhétorique habile et complexe dont le but (paradoxal, parce qu’il s’agit d’un pur artefact, et d’un dispositif fictionnel) consiste à renforcer le pouvoir de conviction, la crédibilité et le réalisme du texte qui n’est pas censé être de la fiction (mais l’histoire « vraie » d’un fragment4 de vie), contrairement à celui de Sterne qui s’affiche comme tel en exposant ses mécanismes de création, ses moteurs et ses rouages. Il y a bien, par exemple, renforcement du pouvoir de conviction et du réalisme des Confessions lorsque l’auteur fait appel à une expérience commune de certaines situations ou de certains lieux. D’une manière logique, on retrouve d’ailleurs dans l’exemple qui suit l’adjectif possessif « my » (associé au mot « reader »), marqueur infaillible d’une intimité ou d’une complicité revendiquées par De Quincey :

This house I have already described as a large one; it stands in a conspicuous situation and in a well-known part of London. Many of my readers will have passed it, I doubt not, within a few hours of reading this. For myself, I never fail to visit it when business draws me to London. (19 ; c’est moi qui souligne)

  1. En outre, ce sont précisément les questions et les objections que ce lecteur est censé émettre qui donnent au texte son dynamisme et qui assurent sa cohérence logique :

I had no labours that I rested from, no wages to receive; what needed I to care for Saturday night, more than as it was a summons to hear Grassini? True, most logical reader, what you say is unanswerable. (46 ; c’est moi qui souligne)

In so mighty a world as London it will surprise my readers that I should not have found some means of staving off the last extremities, of penury; and it will strike them that two resources at least must have been open to me […]. (24)

In regard to the other mode [of gaining help], I now feel half inclined to join my reader in wondering that I should have overlooked it. (24 ; c’est moi qui souligne)

I must desire my reader to bear in mind that I was a hard student, and at severe studies for all the rest of my time […] (44).

  1. Nous avons cependant vu que, en dépit de tout, De Quincey reste maître du jeu et que le désir proclamé (et censément louable) de ménager la sensibilité du lecteur lui fournit à plusieurs reprises un excellent prétexte justifiant certaines omissions : « I would not needlessly harass my reader's feelings by a detail of all that I endured » (16). L’exemple qui suit, situé au début de « Introduction to the Pains of Opium », est un pur chef d’oeuvre de casuistique (comme l’incipit intitulé « To the Reader »), et atteint des sommets dans l’art de la dérobade et de la tergiversation, maintenant un équilibre précaire mais savamment maîtrisé entre ton badin et violence, (auto)dérision et autodéfense polémique. Notons au passage, dans les premières lignes de la citation, le retour à « the reader » (et non plus l’emploi de « my reader ») car De Quincey se sent ici acculé et doit réellement parvenir à se justifier. Puis il se livre à une nouvelle tentative de captatio benevolentiae, en désespoir de cause, par le recours à des adjectifs laudatifs comme « patient » ou « good », pour revenir enfin, une fois l’affaire entendue, à « readers of mine », qui connote peut-être une intimité plus grande encore que « my reader(s) », forme beaucoup plus fréquente dans le texte :

This is the point of my narrative on which, as respects my own self-justification, the whole of what follows may be said to hinge. And here I find myself in a perplexing dilemma:—Either, on the one hand, I must exhaust the reader's patience by such a detail of my malady, or of my struggles with it […] or, on the other hand, by passing lightly over this critical part of my story, I must forego the benefit of a stronger impression left on the mind of the reader, and must lay myself open to the misconstruction of having slipped, by the easy and gradual steps of self-indulging persons, from the first to the final stage of opium-eating […]. This is the dilemma, the first horn of which would be sufficient to toss and gore any column of patient readers […]. It remains, then, that I postulale so much as is necessary for my purpose. And let me take as full credit for what I postulate as if I had demonstrated it, good reader, at the expense of your patience and my own. Be not so ungenerous as to let me suffer in your good opinion through my own forbearance and regard for your comfort. No; believe all that I ask of you, viz., that I could resist no longer; believe it liberally and as an act of grace, or else in mere prudence; for if not, then in the next edition of my Opium Confessions, revised and enlarged, I will make you believe and tremble; and à force d'ennuyer5, by mere dint of pandiculation I will terrify all readers of mine from ever again questioning any postulate that I shall think fit to make. (52-53 ; c’est moi qui souligne)

  1. Les dérobades se font de plus en plus nombreuses à partir de « Introduction to the Pains of Opium », soit dans le dernier tiers du texte. Le prétexte invoqué pour passer des éléments essentiels sous silence est celui du temps imparti, et surtout de l’espace disponible, prétendument trop réduit pour permettre les développements et les explications attendus et promis dans l’incipit6… Mais l’emploi récurrent de tournures passives et impersonnelles dilue, dépersonnalise et déplace la responsabilité de cet état de fait.

But I am now called upon to wind up a narrative which has already extended to an unreasonable length. Within more spacious limits the materials which I have used might have been better unfolded, and much which I have not used might have been added with effect. Perhaps, however, enough has been given. It now remains that I should say something of the way in which this conflict of horrors was finally brought to a crisis. The reader is already aware (from a passage near the beginning of the introduction to the first part) that the Opium-eater has, in some way or other, “unwound almost to its final links the accursed chain which bound him.” By what means? To have narrated this according to the original intention would have far exceeded the space which can now be allowed. (77-78 ; c’est moi qui souligne)

  1. Et c’est dans ce dernier passage (situé deux pages à peine avant la fin des Confessions) que s’opère la volte-face qui a tant intrigué les critiques, à savoir, le changement radical et soudain de finalité du texte en totale contradiction avec le programme annoncé en incipit. Il y a là de quoi s’aliéner le lecteur le plus patient et le mieux intentionné (et De Quincey a certainement aussi des comptes à se rendre à lui-même pour ne pas avoir su ou voulu respecter son engagement) : c’est ce qui explique à l’évidence le recours à la flatterie. Voilà la vérité : seul un lecteur « judicieux » (et donc perspicace, averti, et intelligent, comme De Quincey), l’un de ces « Happy few » capables de lire entre les lignes et de décrypter l’implicite, sera apte à comprendre quel était le message véritable du texte et la priorité réelle de son auteur :

The interest of the judicious reader will not attach itself chiefly to the subject of the fascinating spells, but to the fascinating power. Not the Opium-eater, but the opium, is the true hero of the tale, and the legitimate centre on which the interest revolves. The object was to display the marvellous agency of opium, whether for pleasure or for pain: if that is done, the action of the piece has closed. (78)

  1. Mais ces dehors courtois et conciliants ne sauraient masquer l’attitude autoritaire, voire péremptoire, de l’auteur qui, à l’instar de certains narrateurs omniscients et intrusifs de l’époque victorienne, affirme sans ambages sa supériorité intellectuelle et dicte au lecteur la bonne façon de juger et de penser, ou décide de couper court à toute question embarrassante (citation 3) :

1) I feel no shame, nor have any reason to feel it, in avowing that I was then on familiar and friendly terms with many women in that unfortunate condition. The reader needs neither smile at this avowal nor frown […]. (20)

2) Here let me stop for a moment to check my reader from any erroneous conclusions […]. (31)

3) Whether, indeed, afterwards I might not have succeeded in breaking off the habit, even when it seemed to me that all efforts would be unavailing, and whether many of the innumerable efforts which I did make might not have been carried much further, and my gradual reconquests of ground lost might not have been followed up much more energetically—these are questions which I must decline. (53)

  1. Et au bout du compte, le lecteur (réel cette fois, et non la création intradiégétique de T. De Quincey) en vient à penser que l’identité de ce « reader/you » qui habite les Confessions recoupe le plus souvent celle de son créateur.

  2. Nous sommes assez habitués à ce genre de procédé dans le cas d’autobiographies fictionnelles ou d’autofiction, que le « je » de « l’auteur » et celui du narrateur à la première personne soient les mêmes ou non. C’est ce qui se produit par exemple lorsque le narrateur se met à distance pour s’observer et se prend comme objet de son propre discours et de son propre regard, particulièrement, quand il s’agit d’examiner des avatars anciens du moi, situés dans un passé très éloigné du présent de l’écriture, l’enfance notamment. Bien souvent, le narrateur reconnaît à peine ce moi ancien et les pronoms employés, « il » ou « tu/vous », traduisent selon les cas une forme de supériorité, d’ironie, d’incrédulité et d’étonnement, d’incompréhension, ou parfois de désapprobation. Il y a en tout état de cause volonté (partielle ou totale) de se désolidariser7. Ainsi procède De Quincey dans les Suspiria de Profundis (1845) quand il se décrit enfant au moyen du « you » qui est censé concerner tout enfant affligé, sur le mode de la généralisation8, mais qui est clairement compris comme autobiographique. Ce « you » dénote à la fois une distance et une forme paradoxale de sympathie : l’auteur n’est plus le même ;  il a cessé d’être jeune et ignorant, mais il est tout de même demeuré le même dans sa douleur que rien, pas même le temps, n’a pu atténuer.

If, then, once in childhood you suffered an affliction that was ineffable […] you also veil your head. Many years are passed away since then; and you were a little ignorant thing at that time, hardly above six years old—. But your heart was deeper than the Danube; and, as was your love, so was your grief. Many years are gone since that darkness settled on your head; many summers, many winters; yet still its shadows wheel round upon you at intervals—9.

  1. Mais cet emploi du « you » est plus ambigu et problématique dans les Confessions, du fait de sa récurrence, et du fait aussi qu’il ne s’accompagne pas d’un fossé temporel important justifiant son emploi. Ainsi, le genre du lecteur constitue un premier indice nous permettant l’assimilation de « you » à l’auteur, car dans les Confessions, il s’agit d’une entité masculine, alors que dans les Suspiria de Profundis, De Quincey s’adresse parfois explicitement à un lectorat féminin, aux pages 176 et 178, entre autres. D’autres indices situés au début de « The Pains of Opium » (dernière partie des Confessions) viennent corroborer cette interprétation : d’une part, le fait que l’auteur définisse son écriture comme une variante de la pensée à haute voix, comme une manière de se parler à soi-même :

You will think perhaps that I am too confidential and communicative of my own private history. It may be so. But my way of writing is rather to think aloud, and follow my own humours, than much to consider who is listening to me; and if I stop to consider what is proper to be said to this or that person, I shall soon come to doubt whether any part at all is proper. (62)

  1. Autre indice assez concluant : le fait que De Quincey se présente ensuite lui-même dans le rôle du lecteur, lisant parfois à haute voix pour son propre plaisir et celui de son entourage. On ne peut qu’être intrigué, puis amusé, par l’ironie de ce passage où il accuse les acteurs de ne pas être doués pour la lecture à haute voix. On pourrait déceler ici une forme d’anti-syllogisme car De Quincey, acteur des plus talentueux comme nous l’avons vu, affirme pourtant lire à haute voix avec aisance et grand art. L’ironie va plus loin encore puisqu’il prétend que ce talent est quasiment le seul dont il puisse s’enorgueillir ; les Confessions sont pourtant, bel et bien, l’œuvre d’un écrivain ; si donc, nous poussons le raisonnement, cela reviendrait à penser que lecture à haute voix et écriture reviennent au même… Et cela nous renvoie à la similitude entre le lecteur et son auteur.

My studies have now been long interrupted. I cannot read to myself with any pleasure, hardly with a moment's endurance. Yet I read aloud sometimes for the pleasure of others, because reading is an accomplishment of mine […], almost the only one I possess; and formerly, if I had any vanity at all connected with any endowment or attainment of mine, it was with this, for I had observed that no accomplishment was so rare. Players are the worst readers of all […]. (63)

  1. Citons ensuite le surprenant glissement, ou lapsus calami d’ordre syntaxique qui s’opère à la page 63 : « It will occur to you often to ask, why did I not release myself from the horrors of opium, by leaving it off or diminishing it ?10 » Cette syntaxe qui repose contre toute attente sur une forme interrogative directe alors que « why I did not » s’imposait (sans la virgule précédant « why ») ne manque pas de surprendre chez De Quincey, classiciste distingué, qui maîtrisait la grammaire et la langue à la perfection. On pourrait objecter qu’il s’agit d’une imitation conventionnelle du discours direct, procédé fréquent chez les auteurs du 18e siècle11, mais cette interprétation ne tient pas dans le cas des Confessions où il s’agit d’une occurrence exceptionnelle. On pourra rappeler à l’appui les passages de la page 51 (cité p. 3), exclusivement au discours direct12, ou ceux des pages 24 (cités p. 6)13, exclusivement au discours indirect quant à eux, le mélange des deux types de discours dans une même phrase ne se produisant donc jamais. Ce lapsus, ou glissement, nous incite donc à conclure que cette embarrassante question n’est pas posée par un hypothétique lecteur mais par l’auteur lui-même, et que ce « you » est en fait un « I » déguisé.

  2. You est le vecteur privilégié et habituel de l’expression de la culpabilité (non dite et à demi assumée), mise cependant à distance et atténuée puisqu’elle n’est pas formulée directement à la première personne par le je-auteur et que les tournures passives impersonnelles (dont nous avons déjà examiné quelques modalités) en allègent parfois la charge. Alors, comme dans un procès de cauchemar, you joue à la fois le rôle de l’accusateur, de l’accusé, et de l’avocat défenseur ; rappelons que De Quincey se présentait comme « le héros » et « le criminel à la barre » dont le « corps » devait être traîné au tribunal (61). You fait donc souvent figure de double, mais sur le mode véritablement unheimlich, celui du doppelgänger hostile et menaçant14. On peut ne peut évidemment manquer de citer à ce propos « L’Inquiétante étrangeté » (1919) de Freud, et voir dans ce you un retour du refoulé, mais les théories d’Otto Rank exposées dans Le Double (Imago, 1914) apportent elles aussi un éclairage précieux.

D’ange gardien de l'homme lui assurant l’immortalité, le Double est peu à peu devenu la conscience persécutrice et martyrisante de l’homme […]15.

Dans la psychanalyse, on considère ces altérations comme un mécanisme de défense où l’individu se sépare d’une partie de son Moi contre lequel il se défend, auquel il voudrait échapper16.

Comme caractéristique la plus frappante de ces formes apparaît un puissant sentiment de culpabilité qui pousse le héros à ne plus prendre sur lui la responsabilité de certaines actions de son Moi, mais à en charger un autre Moi, un Double […]. Les tendances et inclinations reconnues comme blâmables sont séparées du Moi et incorporées dans ce Double. Par ce détour, le héros peut s’adonner à ses penchants, croyant ne point encourir de responsabilité17.

  1. L’emploi de la troisième personne, allié à des tournures passives impersonnelles, crée un effet de diversion et de soulagement similaire à certaines des occurrences de you, puisque tout se passe comme si l’auteur parlait d’un autre, ce qui atténue et dilue la responsabilité individuelle :

However, as some people, in spite of all laws to the contrary, will persist in asking what became of the Opium-eater, and in what state he now is, I answer for him thus: The reader is aware that opium had long ceased to found its empire on spells of pleasure; it was solely by the tortures connected with the attempt to abjure it that it kept its hold. Yet, as other tortures, no less it may be thought, attended the non-abjuration of such a tyrant, a choice only of evils was left; and that18 might as well have been adopted which, however terrific in itself, held out a prospect of final restoration to happiness. This appears true; but good logic gave the author no strength to act upon it. However, a crisis arrived for the author's life, and a crisis for other objects still dearer to him—and which will always be far dearer to him than his life, even now that it is again a happy one.—I saw that I must die if I continued the opium. I determined, therefore, if that should be required, to die in throwing it off. How much I was at that time taking  cannot say, for the opium which I used had been purchased for me by a friend, who afterwards refused to let me pay him; so that I could not ascertain even what quantity I had used within the year. (78-79 ; c’est moi qui souligne)

  1. L’usage de l’expression « mangeur d’opium », accompagnée de l’article indéfini « un », et cela dès le titre, est fréquent mais ses contours ou ses frontières deviennent extrêmement floues puisqu’elle désigne tantôt les opiomanes en général et tantôt l’opiomane auteur des Confessions et que au cours des dernières pages, il n’est plus possible d’être sûr de leur indépendance mutuelle. Ainsi, la généralisation sur les mangeurs d’opium et leurs tourments moraux se lit de façon assez transparente comme l’aveu à peine déguisé de la propre culpabilité et du désarroi de l’auteur, étant donné sa tonalité extrêmement passionnée :

The opium-eater loses none of his moral sensibilities or aspirations. He wishes and longs as earnestly as ever to realize what he believes possible […]. He lies under the weight of incubus and nightmare; he lies in sight of all that he would fain perform, just as a man forcibly confined to his bed by the mortal languor of a relaxing disease […] he curses the spells which chain him down from motion; he would lay down his life if he might but get up and walk; but he is powerless as an infant, and cannot even attempt to rise. (67)

  1. De Quincey déclare en épilogue : « The moral of the narrative is addressed to the opium-eater, and therefore of necessity limited in its application. If he is taught to fear and tremble, enough has been effected. » (79) Mais qui est donc ce « mangeur d’opium » destinataire des Confessions ? Qui est donc cet homme censé trembler à leur lecture ? S’agit-il d’un parfait inconnu ? De la communauté des opiomanes dans son entier ? De l’auteur qui aurait écrit son texte pour lui-même, afin de mieux mesurer l’horreur et la déchéance de sa situation ? L’identité de ce « mangeur d’opium » recoupe-t-elle en partie celle du « lecteur » si fréquemment invoqué, cité et sollicité ? Autant de questions insolubles, même à l’issue de plusieurs relectures. Pour John C. Whale, l’adoption d’un point de vue rétrospectif dans l’écriture autobiographique entraîne des « complications », par exemple : « […] the disparity between the writer’s sense of being a private individual and a member of the public, and the related fact that self-consciousness might lead to self-alienation19. » Mais étudier De Quincey implique sans tarder, et inévitablement, le dépassement de cette approche globalement binaire, induite par le dédoublement inhérent à l’acte autobiographique. C’est ce qui se produit quand Whale conclut son chapitre 5 en soulignant la pluralité des instances narratives et le défi que constitue le texte quinceyen : « […] it offers no single or consistent foundation from one point of view. The tactics mentioned create a system of various authorities which can alternate or can be superimposed one upon another. […] it reveals a process that consists of interruptions, disruptions and discontinuities20. » Dans The Infection of Thomas De Quincey, John Barrell, qui ne propose pas une analyse narratologique mais psychocritique et postcoloniale, en arrive pourtant par d’autres chemins, à des conclusions similaires, concernant le domaine identitaire :

In De Quincey’s writing, however, there is often a particular process or scheme of displacement at work, one which suggests that a simple binary model, of self and other, might not always be adequate21.

The process […] begins by identifying an apparently exhaustive binary : there is a self, and there is an other, an inside and an outside […]. The self is constituted by the other, and it requires that other to mark out its own limit, its own definition […] but the difference between them, though in its own way important, is as nothing compared with the difference between the two of them considered together, and that third thing, way over there, which is truly other to them both22.

  1. À la lecture de Barrell, on ne peut manquer de se rappeler un passage de The English Mail-Coach (1849) dans lequel De Quincey écrit :

But the dream-horror which I speak of is far more frightful. The dreamer finds housed within himself—occupying, as it were, some separate chamber of his brain—some horrid alien nature. What if it were his own nature repeated—might be a curse too mighty to be sustained. But how if the alien nature contradicts his own, fights with it, perplexes and confounds it? How, again, if not one alien nature, but two, but three, but four, but five, are introduced within what once he thought the inviolable sanctuary of himself? (De Quincey, The English Mail-Coach, 201)

  1.  Si la structure de base des Confessions (son cadre rhétorique et narratif) semble, globalement et de prime abord, obéir à une logique de type binaire et dialogique donnant l’impression que le texte est placé sous le régime de la dualité et du dédoublement, il apparaît sans tarder que cette binarité n’est qu’une étape intermédiaire, et indispensable, du processus, mais constamment dépassée. Les paires ou couples d’interlocuteurs varient et fluctuent sans cesse ; ils sont à géométrie variable car le lecteur (alias le public, le peintre, you, le mangeur d’opium, Thomas de Quincey — tour à tour ou simultanément) peut représenter une entité bien définie, un ou plusieurs individus (pourtant distincts) tout à la fois, ou une collectivité. L’identité de ces paires, leur signification, la configuration de leurs rapports, le type de rapports qu’ils entretiennent, les frontières les séparant, ne cessent de changer et de se déplacer. Par-delà la polarité apparente entre I/the reader, I/you, I/he, et même I/them se dessine nettement une série de chevauchements et de croisements entre les deux termes de chaque « couple », et au sein de chacun de ces termes, eux-mêmes hybrides. C’est donc en réalité, le régime de la fragmentation (du sujet), et surtout de l’instabilité kaléidoscopique, qui domine largement les Confessions. C’est la raison pour laquelle ce texte pourtant bref, mais dense et énigmatique, oppose des résistances invincibles à la fixation, et à l’élucidation définitives, et exerce un tel pouvoir de fascination.   

Bibliographie

  • Barrell, John. The Infection of Thomas De Quincey: A Psychopathology of Imperialism. New Haven : Yale UP, 1991.

  • Baudelaire, Charles. « Un Mangeur d’opium ». Les Paradis artificiels. 1860. Paris : Garnier Flammarion, 1966.

  • Broqua, Vincent et Guillaume Marche, dir. L’épuisement du biographique. Newcastle upon Tyne : Cambridge Scholars Publishing, 2011.

  • De Quincey, Thomas. Confessions of an English Opium-Eater. Suspiria de Profundis. The English Mail-Coach. Ed. Grevel Lindop. Oxford World’s Classics. Oxford : OUP, 1998.

  • Dickens, Charles. David Copperfield. 1849-50. Londres : Penguin Popular Classics, 1994.

  • Freud, Sigmund. « L’Inquiétante étrangeté ». 1919. L'Inquiétante étrangeté et autres essais. Connaissance de l'Inconscient. Paris : Gallimard, 1985.

  • Lavocat, Françoise. « Mimesis, fiction, paradoxes ». Methodos (27 avril 2010). http://methodos.revues.org/2428. Dernière consultation 12 juillet 2011.    

  • Rank, Otto. Le Double : essais psychanalytiques. 1914. Paris : Payot, 1973.

  • Sterne, Laurence. The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman. 1760-67. Ed. Campbell Ross. Oxford World’s Classics. Oxford : OUP, 2009.

  • Whale, John C. Thomas De Quincey’s Reluctant Autobiography. Londres : Croom Helm, 1984.

1  F. Dupeyron-Lafay, L’épuisement du biographique.

2 L. Sterne, Tristram Shandy, I. VI., 10-11.

3 F. Lavocat, « Mimesis, fiction, paradoxes », section 49.

4 Le sous-titre des Confessions est en effet « Being an Extract from the Life of a Scholar ».

5 En italiques et en français dans le texte.

6 Dans « Un Faux Dénouement », qui constitue le chapitre V de « Un Mangeur d’opium » (Les Paradis artificiels, 1860), Baudelaire considérait à juste titre que : « De Quincey a singulièrement écourté la fin de son livre […]. Il y a évidemment des livres, comme des aventures, sans dénouement. Il y a des situations éternelles; et tout ce qui a rapport à l'irrémédiable, à l'irréparable, rentre dans cette catégorie. […] Donc le dénouement était pour moi tout à fait inattendu, et […] malgré son appareil de minutieuse vraisemblance, je m'en défiai instinctivement. [Cela me parut] un sacrifice où la vérité était immolée en l'honneur de la pudeur et des préjugés publics. […] Bref, je crois que le public n'aime pas les impénitents, et qu'il les considère volontiers comme des insolents. De Quincey a peut-être pensé de même, et il s'est mis en règle» (127-128)

7 On le voit bien dans l’un des « Retrospects » de David Copperfield (1849-1850) au moment où David (adulte et écrivain) écrit de lui-même : « That little fellow seems to be no part of me; I remember him as something left behind upon the road of life—as something I have passed, rather than have actually been—and almost think of him as of someone else. » (Ch. XVIII, « A Retrospect », 227).

8 Un autre exemple du même type peut être repéré dans les Suspiria de Profundis : « You acquiesce; nay, you are passionately delighted in your condition. Sweet becomes the grave, because you also hope immediately to travel thither ». (T. De Quincey, op. cit., 120)

9 T. De Quincey,  Suspiria de Profundis, 156.

10 Suite de la citation : « […] it might be supposed that I yielded to the fascinations of opium too easily; it cannot be supposed that any man can be charmed by its terrors. The reader may be sure, therefore, that I made attempts innumerable to reduce the quantity. […] this is a common mistake of those who know nothing of opium experimentally; I appeal to those who do […]. Yes, say many thoughtless persons, who know not what they are talking of, you will suffer a little low spirits and dejection for a few days. […] feelings such as I shall not attempt to describe without more space at my command. » (63)

11 Le style, la rhétorique et les techniques narratives de certains passages des Confessions sont indéniablement marqués par ces influences du 18e siècle.  

12 Ce passage commence par « And what am I doing among the mountains? Taking opium. Yes; but what else? » (51), et se poursuit par une série de questions (sans guillemets) formulées d’une façon similaire au discours direct.

13 Pour rappel : « it will surprise my readers that I should not have found some means of […].” (24) ou « In regard to the other mode [of gaining help], I now feel half inclined to join my reader in wondering that I should have overlooked it» (24 ; c’est moi qui souligne)

14 Le Malais qui rend visite inopinément à De Quincey à Grasmere (épisode mystérieux – réel, enjolivé, fantasmé ? – relaté aux pages 55-58 des Confessions) a tout d’un doppelgänger. Dès le début, la manière ambiguë dont De Quincey le décrit (identification et rejet), souligne bien les similitudes qui les unissent, par-delà les différences: tous deux sont des êtres condamnés à l’errance et à l’exil, tous deux sont consommateurs d’opium, et à ce titre liés à l’Orient, et donc « étrangers ». Incapable de communiquer avec ce Malais dont il ne parle pas la langue, De Quincey, à défaut, lui donne un gros morceau d’opium qu’il avale tout entier, avant de disparaître. L’auteur, pendant des jours, s’inquiète pour ce pauvre vagabond, craignant que la dose massive absorbée ne l’ait tué, mais se rassurant en se disant qu’il aurait eu vent de son décès. Le Malais vient ensuite constamment hanter ses rêves : « [He] fastened afterwards upon my dreams, and brought other Malays with him worse than himself, that ran “a-muck” at me, and led me into a world of troubles. » (58) Les persécutions se poursuivent et s’aggravent comme en témoigne la section des Confessions intitulée « The Pains of Opium » (May 1818) décrivant les cauchemars de l’auteur : « The Malay has been a fearful enemy for months. » (73) Comme le remarque John Barrell dans The Infection of Thomas De Quincey : « De Quincey’s life was terrorised by the fear of an unending and interlinked chain of infections from the East, which threatened to enter his system and to overthrow it, leaving him visibly and permanently “compromised” and orientalised. » (15)

15 O. Rank, Le Double, Ch. 4, « L’Ombre, représentation de l’âme », 49.

16 Ibid., Ch. 5, « Le Reflet, symbole du narcissisme », 57.

17 Ibid., Ch. 7, « La Croyance à l’immortalité du moi », 70-71.

18  « That » est en italiques dans l’original.

19 J. C. Whale,  Thomas De Quincey’s Reluctant Autobiography, 3.

20 Ibid., 196-197.

21 J. Barrell,  The Infection of Thomas De Quincey: A Psychopathology of Imperialism, 8.

22 Ibid., 12.



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