Les configurations kaléidoscopiques de l’adresse et les avatars du lecteur-auteur dans les Confessions of an English Opium-Eater (1821) de Thomas De Quincey
Résumé
Cet article propose une réflexion sur le statut du lecteur et sur ses variantes réelles ou apparentes, à savoir ce « you » et sa signification exacte dans les Confessions of an English Opium-Eater (1821) dont l’incipit est d’ailleurs intitulé, « To the reader ». Les mots « reader » et « readers » reviennent en effet avec une fréquence remarquable dans l’ensemble du texte. Les Confessions sont jalonnées par ces dialogues récurrents avec un lecteur protéiforme auquel l’auteur prête toute une série de sentiments et de réactions et qu’il fait régulièrement parler. Il s’opère une véritable théâtralisation par le biais de la mise en scène dialogique des relations entre le narrateur et le narrataire et l’on peut invoquer divers modèles, notamment la littérature confessionnelle à laquelle renvoie le titre, et le courant métafictionnel illustré par Sterne ou Diderot (dans Jacques le fataliste). Bien qu’il s’agisse avant tout d’un véhicule métafictionnel, moins un véritable destinataire que d’une construction rhétorique renforçant le pouvoir de conviction, la force de persuasion (émotionnelle) et la cohérence logique du texte, le lecteur apparaît initialement comme une entité distincte de l’auteur et dotée de caractéristiques psychologiques et intellectuelles variables selon les situations. Pourtant, le lecteur (réel cette fois et non la création intradiégétique de T. De Quincey) en vient à se demander si l’identité de ce lecteur qui habite le texte ne recoupe pas fréquemment celle de son créateur, l’auteur du texte. De Quincey se présente lui-même à l’occasion dans le dans le rôle d’un lecteur, d’une part ; d’autre part, son lecteur est toujours masculin dans les Confessions (alors que les Suspiria de Profundis, de 1845, envisagent la présence de lectrices); enfin, le surprenant glissement syntaxique qui s’opère au début de « The Pains of Opium » (« It will occur to you often to ask, why did I not release myself from the horrors of opium, by leaving it off or diminishing it ? ») fait figure de lapsus calami : ainsi, l’emploi exceptionnel chez De Quincey du style direct au lieu du style indirect montre que la question n’est pas posée par le lecteur mais par l’auteur lui-même, et que ce « you » est en fait un « I » déguisé. You est le vecteur privilégie et habituel de l’expression de la culpabilité, mise cependant à distance et atténuée puisqu’elle n’est pas formulée directement à la première personne par le je-auteur qui adopte tantôt une attitude offensive (quand le lecteur est distinct de lui), tantôt une attitude défensive quand ce lecteur, ce « you » apparent, n’est autre que lui-même, que l’une des facettes de son moi tout aussi kaléidoscopique que son « lecteur », mais un moi unheimlich, pareil à un doppelgänger hostile et menaçant.
This paper analysizes the status of the reader and its variations, especially “you” and its exact meaning, in Confessions of an English Opium-Eater (1821), the opening of which is actually entitled “To the reader”. The word “reader” in the singular or the plural is indeed strikingly recurrent in the text which is punctuated by these frequent dialogues with a protean reader to whom the writer ascribes a series of feelings and reactions and whom he regularly presents as someone inquisitive asking many questions. The dialogical staging of this writer-reader relationship induces a form of theatricalization in the Confessions, and several literary models can be invoked – confessional literature (hence the title of the work), and the metafictional trend illustrated by Sterne’s Tristram Shandy or Diderot’s Jacques le fataliste. Although the reader is primarily a metafictional vehicle, and not so much a veritable addressee as a rhetorical construct heightening the conviction, emotional persuasion and logical coherence of the text, this reader initially appears as an entity distinct from its creator and gifted with psychological and intellectual properties, shifting with each new narrative situation. However, we, as real-life readers, come to wonder whether the identity of the reader that inhabits the Confessions does not overlap with De Quincey’s. First because the latter occasionally represents himself as a reader (of others’ productions); then, because the reader in the Confessions is always male (whereas Suspiria de Profundis (1845) features explicitly female readers) ; and finally because of the surprising syntactical slip at the beginning of “The Pains of Opium” – “It will occur to you often to ask, why did I not release myself from the horrors of opium, by leaving it off or diminishing it ?”. This slip of the pen resting on the use of direct instead of indirect speech in an indirect interrogative sentence (something exceptional in De Quincey’s texts) shows that the question is not asked by the reader but by the author himself and that “you” turns out to be a disguised form of “I”. The pronoun “You” therefore appears as the usual means of conveying the expression of guilt, permitting its attenuation and distancing as it is not formulated directly in the first person by the writer. He sometimes adopts an offensive stance – when the reader is quite distinct from him and is expected to ask embarrassing questions — and sometimes a defensive one when this “you” is no other than himself, one of the many facets of his kaleidoscopic self. But this “you” can also appear quite unheimlich, like a hostile and threatening doppelgänger. The fragmentation and instability of the author’s self and of his avatars, and their intricate overlapping, make the reading of the Confessions both a puzzling and disturbing experience, but also a fascinating one because the meaning of the narrative remains elusive and unsettled, resisting any definitive fixation.