« Thoughts without words » : silence, violence et commémoration dans les dernières œuvres de Woolf

Mark Hussey

Pace University

  1. En commentant les tableaux suspendus aux murs de Pointz Hall dans Between the Acts, Bart Oliver, officier de l’Empire à la retraite, se demande pourquoi les Anglais se désintéressent autant des arts visuels, de manière aussi flagrante, et pourquoi ils sont si mal informés de leurs évolutions. Sa sœur, Lucy Swithin, explique que la question n’est pas de s’y intéresser ou pas, mais, dit-elle, « nous n’avons pas les mots » : « Derrière les yeux ; pas sur les lèvres ; voilà tout. » Son frère, abasourdi par cette explication, se demande alors : « Des pensées sans mots, est-ce possible ?1 »

  2. Si l’on veut répondre rapidement à la question de Bart Oliver, on peut, en s’appuyant sur les recherches en neurosciences telles que celles vulgarisées par Antonio Damasio, dire « oui » : selon Damasio, la sensation, c’est de la pensée. Du point de vue du fonctionnement du cerveau, une « image » est « un modèle mental dans n’importe quelle modalité sensorielle, comme par exemple une image phonique, une image tactile, l’image d’un état de bien-être2 ». En plus d’images de ce genre, Damasio écrit dans Le Sentiment de ce qui arrive : « il y a quelque chose de soi qui est présent dans la relation particulière qu’on entretient avec un objet3 » : « Ce quelque chose de soi qui est présent, c’est le sentiment de ce qui arrive quand l’être est modifié par un objet4 ». Selon Damasio, le langage « est la traduction d’autre chose, une conversion d’images non linguistiques qui symbolisent des entités, des événements, des relations et des inférences5 ».

  3. À plusieurs reprises, Virginia Woolf a présenté la matrice de son art comme composée « de pensées sans mots ». Dans « On Re-Reading Novels », un essai publié pour la première fois en 1922 dans le supplément littéraire du Times, mais qui a également paru de manière posthume dans une version largement remaniée, l’auteur affirme : « le “livre lui-même” n’est pas une forme que l’on voit, mais une émotion que l’on ressent6 ». Nous pouvons également relever des variantes de cette idée dans plusieurs passages où l’auteur réfléchit à son propre processus créatif : la pensée commence, dit-elle à Vita Sackville-West en 1926, « sans mots » : « Une vision, une émotion crée une vague dans l’esprit, bien avant qu’on trouve les mots pour les mettre à leur place7 » ; dans une lettre à Ethel Smyth, au cours de l’année 1930, elle explique : « les phrases que l’on forme ne sont qu’une approximation, un filet que l’on jette sur une perle qui pourrait disparaître ; et si quelqu’un le soulève, la chose ne ressemblera plus à ce qu’elle était quand je l’ai vue, sous la mer8 ». Pour Woolf, la perception précède la conception. Dans son journal de 1926, elle réfléchit à ce que pourrait être le meilleur livre au monde : « le ‘meilleur livre du monde’ (serait) fait entièrement de nos pensées, seulement celles-ci et dans toute leur intégrité9 ». Un roman, explique-t-elle à Sackville-West en 1928, ne commence pas par la conception mais par le sentiment qu’il « existe quelque chose tout au bout du golfe que les mots ne peuvent pas relier10 ». « Derrière les yeux, pas sur les lèvres », pourrait-on dire. Et parfois, « comme dans un élan apparemment involontaire », l’effervescence d’idées, les scènes se transforment en un roman, ce qui est justement la manière dont elle décrit dans « Sketch of the Past » l’écriture de To the Lighthouse alors qu’elle se promenait dans Tavistock Square, « à tel point que mes lèvres semblaient former les syllabes d’elles-mêmes lorsque je marchais11 ».

  4. La recherche en neurosciences cognitives a inévitablement créé une tension avec la philosophie dans la mesure où celle-ci s’intéresse à la conscience et à l’expérience de l’être. (Les travaux récents de Catherine Malabou sont un exemple particulièrement provocateur de l’intersection de ces champs). Aussi intéressantes que soient ces questions, je souhaite m’intéresser ici à quelque chose de plus spécifique. J’ai publié, il y a de nombreuses années, un livre sous-titré La Philosophie de la fiction woolfienne, dans lequel je montrais comment le silence et le vide sont non seulement des catégories fondamentales pour l’esthétique woolfienne mais également des catégories philosophiques. Je démontrais que lorsque Woolf s’interroge sur la question de l’être, elle est très proche des questions que posait, à la même époque ou presque, Martin Heidegger. J’ai donc toujours pensé que Woolf était « parmi les philosophes ». J’irais même jusqu’à dire que Woolf est une philosophe. Si Kierkegaard et Nietzsche sont des philosophes, alors Woolf l’est également. (Et s’ils ne sont pas philosophes, je me demande bien ce qu’ils sont.) Je veux ici revenir sur ces catégories du vide et du silence dans le contexte des derniers écrits de Woolf, le nachlass (œuvres posthumes) : un ensemble de fragments et de textes inachevés, notamment le brouillon de Between the Acts, le roman publié de manière posthume (qui, selon ce que j’ai pu en dire, est lui-même, en tant que roman, un brouillon), les fragments autobiographiques de « Sketch of the Past », des nouvelles telles que « The Symbol », des paragraphes épars dans ses carnets comme celui qui commence par « London in War » et les différents brouillons de son projet de livre d’Histoire commune, commencé en 1940 et qu’elle avait intitulé « Reading at Random ». Je propose de voir comment les résonances que l’on trouve dans ces textes courts, dans ces brouillons, nous prouvent qu’ils peuvent être lus comme un seul texte éclaté en plusieurs fragments, à l’intérieur duquel nous voyons Woolf fonder, selon ses propres termes, « ce que j’appellerais une philosophie12 ».

  5. À la fin des années 1930, cette femme qui avait autrefois écrit que le terme qui décrirait le mieux ses « prétendus romans13 » pourrait être le mot « élégie14 » était fascinée par l’imminence de sa propre mort, et les catégories du silence et du vide si caractéristiques de sa fiction prirent alors une valence dont la force fut renouvelée, à un moment historique que Woolf analysait comme la réitération du dernier été de 1914. Si ses romans sont des élégies à la fois privées et publiques, Jacob’s Room étant, par exemple, à la fois un adieu catullien à son cher frère Thoby, mort à l’âge de vingt-six ans, et un geste de commémoration pour le carnage des tranchées, alors, quand les événements de 1938 ranimèrent le sentiment qui avait déjà été éprouvé en 1914, elle essaya d’inventer, dans l’écriture, une nouvelle forme de commémoration. Elle avait écrit Jacob’s Room lorsque le Cénotaphe était en cours de construction à Londres ; la tombe vide de ce monument trouve son corollaire dans les vides de la fiction woolfienne, ce qu’Ann Banfield a décrit, avec beaucoup de finesse, comme des espaces passés inaperçus et que personne n’a investis, ouvrant des perspectives où tout est à bâtir.

  6. Je souhaite montrer que le vide, qui est si habituel pour les lecteurs de la fiction woolfienne, préserve un espace que la conscience du lecteur peut alors traverser. Selon Malabou, l’espace cérébral est constitué de « coupures, de vides et de creux15 », et dans ses structures narratives, Woolf exige du lecteur qu’il fasse ce que l’on pourrait appeler des sauts synaptiques. « L’œuvre » d’art est à la fois substantif et verbe. L’acte (ou l’œuvre) de lecture produit l’œuvre de fiction grâce au passage de l’esprit entre les espaces du texte. Dans l’expression prononcée comme chacun le sait par Andrew Ramsay pour expliquer à Lily Briscoe ce sur quoi porte le travail de son père, « le sujet, l’objet et la nature de la réalité16 », j’entends une critique ironique de ce que Martin Jay a utilement nommé « le perspectivalisme cartésien17 ». L’ordre mécaniste d’entités indépendantes est un paradigme qui sous-tend une philosophie dans laquelle la maîtrise, le monoculaire, l’unité et le monothéisme sont mis en avant, une philosophie où l’on généralise aux dépens de ce qui est liminal, excentrique, « autre » dans ses discours. Selon l’épistémologie occidentale, c’est une philosophie où le sujet reste au centre des perspectives. Nishitani Keiji, qui fut l’étudiante de Nishida Kitaro et d’Heidegger, critique la manière dont les Occidentaux ont cherché à décentrer le sujet, puisque celui-ci tend à rester accroché à sa position, au centre d’un monde d’objets. Woolf s’efforce, il me semble, de dissoudre la subjectivité dans l’ensemble du texte, à travers un réseau où il n’y a pas de point de vue privilégié. L’historien d’art Norman Bryson explique que, pour Nishitani :

Le concept d'entité ne peut être conservé que par un appareil d'optique qui jette autour de chaque entité un cadre perceptuel qui fait coupure dans le champ et immobilise la coupe dans ce cadre statique. Mais dès que le cadre est retiré, on comprend que l'objet existe comme la partie d'un continuum mobile qui ne peut être coupé à aucun endroit18.

  1. Pour illustrer son propos, Bryson choisit un exemple qui a une résonance toute particulière pour les lecteurs de Woolf :

Si l’objet est, par exemple, une fleur, son existence n’est qu’une phase de transformations graduelles entre la graine et la terre, dans une exfoliation continue ou une perturbation de la matière : à aucun moment l’objet ne vient à être arrêté et immobilisé en tant que Forme ou eidos19.

  1. Dans « Sketch of the Past », Woolf se souvient du « choc » qu’elle a ressenti lorsqu’elle a compris ceci : « la fleur elle-même faisait partie de la terre, et la terre formait un cercle qui comprenait la fleur ; et c’était cela qui formait la véritable fleur, en partie terre, en partie fleur20 ». Bryson continue en expliquant que pour Nishitani : « la présence d’un objet ne peut être définie qu’en termes négatifs. Puisqu’il n’y a aucune manière de détacher un objet x sans en même temps l’inclure dans le champ global des transformations, ce qui apparaît comme l’objet x n’est que la différence entre x et l’ensemble du champ autour21 ». Dans la fiction woolfienne, le vide structuré, les creux, rendent visible l’œuvre de lecture nécessaire pour produire l’œuvre d’art. Dans le monde de sa fiction, le langage lui-même est une « coupe » dans le champ de tout ce qui existe.

  2. Dans son essai sur Walter Sickert en 1934, Woolf postule qu’une « zone de silence » est au centre de tout art22. Les espaces vides et silencieux de sa fiction, selon moi, dépendent de la dynamique de l’acte de lecture qui met en œuvre ce qui est élégiaque. Si elle est le grand poète de l’absence, et si elle a créé des œuvres d’art qui sont des actes de commémoration, alors cet art fonctionne de conserve avec l’esprit de la lecture : l’espace vide met en avant des résonnances avec le reste de l’œuvre. Ainsi, on peut évoquer les chaussures de Jacob Flanders, dans les mains de sa mère, le grenier dans lequel se retire Clarissa Dalloway (« le vide au cœur de la vie23 »), le « centre d’un vide complet » autour duquel se développent les « courbes et arabesques24 » que Lily Briscoe doit essayer d’inscrire sur sa toile, le centre vide autour duquel les six personnages de The Waves s’organisent après la mort de Percival, et enfin la pièce vide au cœur de Pointz Hall, décrite comme un vase contenant « l’essence imperturbable et distillée du vide et du silence25 ». Comme l’a récemment montré Anthony Uhlmann à propos de la fiction moderniste, l’art est l’organisation des sensations, ou comme le disait Woolf à Roger Fry, c’est « mettre les émotions en adéquation26 ». Uhlmann explique :

L'art […] fonctionne dans les trous du savoir, dans les fragments de sensation et de perception, en constituant des points de vue qui sont reliés par des lignes transversales. Le signe lui-même est un fragment, une provocation qui nous force ou nous pousse à penser, à tracer des liens qui existent, mais dont nous ne savons pas toujours précisément comment ils fonctionnent ensemble […] En littérature comme dans la vie, on ne connaît pas les liens de causalité de manière adéquate Il y a des événements et des trous dans ce rapport. Il y a des signes qui demandent une interprétation. Les liens doivent être forgés, ou il faut sauter au-dessus de ces trous, et c'est par la pensée qu'on y parvient27.

  1. Comme l’année 1938 semblait être pour Woolf « 1914 sans même l’illusion de 191428 », elle enrageait contre le caractère « irréel » de la violence :

C’est étrange d’être assise ici, glanant des petits détails… pendant qu’un moineau tape du bec sur le toit par cette belle matinée de septembre qui pourrait être un 3 août 1914. […] Que signifierait une guerre ? L’obscurité, l’angoisse, et aussi je suppose, la possibilité de mourir […] Et tout cela dépend, au-delà de la mer, du cerveau de ce petit homme ridicule. Pourquoi ridicule ? Parce que rien n’est cohérent, parce que rien ne contient la moindre réalité. La mort, la guerre, les ténèbres, ne représentent rien dont aucun être au monde, fût-il premier ministre ou charcutier, se soucie le moins du monde. Ni liberté, ni vie. Tout simplement un rêve de bonne à tout faire, mais non nous sommes réveillés de ce rêve et le Cénotaphe était devant nous pour nous rappeler quels en furent les fruits29.

  1. La violence de la guerre est « irréelle », c’est une notion abstraite, c’est un état d’esprit généralisé qui détruit la liberté individuelle qu’elle cherche à protéger avant même que le corps physique n’ait été blessé. Cependant, la mort a été pour Woolf le moyen de s’échapper de cette « irréalité ». « Pourquoi ne pas transformer l’idée de la mort en une expérience enthousiasmante ? — comme on le faisait quand on était jeune à propos de l’idée de mariage ? » se demande-t-elle dans son journal en janvier 193930. Alors que tout perdait sens à mesure que la population sombrait dans des sensations communes, elle écrivait  qu’il serait « intéressant… de décrire… la venue progressive de la mort… une expérience extraordinaire et moins inconsciente, du moins dans son abord, que la naissance31 ». En 1940, sa propre mort pouvait lui sembler très proche lorsque les bombardiers survolaient le Sussex et que Leonard et Virginia étaient allongés sous un arbre : « J’ai pensé, je crois, au rien32 ». Elle a alors pu imaginer ce qu’on ressent lorsqu’on est tué par une bombe :

Je crois que j’ai saisi la sensation avec une certaine acuité, mais ne puis concevoir rien d’autre que le suffocant anéantissement succédant au choix. Je penserais sans doute : « Oh j’aurais tant voulu vivre encore dix ans… pas ceci ! » Et pour une fois je serais à court de description. Veux-je dire de la mort ? non, le bruit horrible, la convulsion, l’écrasement de mes arcades sourcilières sur mes yeux si lucides, sur mon cerveau. Douloureux ? oui. Terrifiant ? Je le suppose Et puis l’évanouissement, l’épanchement de soi : deux ou trois sursauts pour retrouver la conscience, et plus rien, plus rien… trois points de suspension33.

  1. Pour qu’elle soit « réelle », la mort doit être vécue de l’intérieur alors que l’idée de la mort rencontre immanquablement la non réalité de l’abstraction. Nishida Kitaro explique que c’est la connaissance de la mort subjective qui constitue le fondement de l’individualité :

En se confrontant à sa propre mort éternelle, le moi fini rencontre l’infinité absolue, l’altérité absolue. Il comprend sa mort éternelle en se confrontant à la négation absolue. Pourtant, même ce moment de prise de conscience a la structure d’une contradiction absolue. Car se rendre compte de sa propre mort, c’est se rendre compte simultanément du sens fondamental de sa propre existence. Seul un être qui connaît sa propre mort éternelle sait vraiment ce qu’il en est de son individualité pure. Seul un véritable individu, une véritable personne peut parvenir à cette compréhension de la contradiction inhérente de l’existence de soi. Un être sans mort n’est pas temporellement unique, et ce qui n’est pas temporellement unique n’est pas un individu. Le soi ne comprend véritablement son caractère temporel unique et propre que lorsqu’il rencontre sa propre négation éternelle34.

  1. La crise des dernières années de Woolf est, bien sûr, la crise du monde dûe à la seconde guerre mondiale. Mais il y a pour Woolf une crise de l’écriture elle-même, une crise qui traverse sa fiction, ses écrits autobiographiques et ses écrits critiques lorsque la guerre est déclenchée. Jacqueline Rose fait remarquer que le carnage de la première guerre mondiale a dérobé à « la mort sa contingence, la transformant en une expérience que, quels que soient ceux qu’elle touche en effet, c’est-à-dire que vous viviez ou que vous mouriez, tout le monde doit partager35 ». Pour Woolf donc, selon Rose, la mort est devenue « plus qu’une élégie, plus qu’un deuil, plus qu’une peur ou une attraction à laquelle elle finit par succomber. C’est plutôt par le prisme de son regard qu’elle…voit36 ».

  2. Quelle relation l’écriture entretient-elle avec la réalité pour Virginia Woolf ? Dans ses écrits autobiographiques, elle se demande pourquoi elle passe son temps à écrire alors qu’elle pourrait faire quelque chose d’« utile » si la guerre venait à être déclarée37. « Ce n’est pas seulement que ‘rien ne me semble réel sauf si je l’écris’ ; c’est également que “la pensée est mon combat”38 ». Ce « bourdonnement d’idées » représente(rait) la « salve (qu’elle tire) pour la cause de la liberté39 ». Dans « Sketch of the Past », elle essaie d’analyser « ce que je pourrais appeler une philosophie40 » et, presque un an après, dans son journal, parce qu’elle est isolée dans la campagne inondée du Sussex, elle écrit : « n’étant plus dans le mouvement, (elle devrait) voir si l’art, ou la vie, ou le crédo, ou la croyance en quelque chose qui existerait de manière indépendante, tiendra bon41 ».

  3. Parvenir à définir ce « crédo », cette croyance dans une existence indépendante des choses en dehors d’elle-même, préoccupe Woolf dans les écrits des dernières années de sa vie. Si l’on prend au sérieux l’idée que ses romans sont des élégies, on peut les lire comme des représentations du vide et du silence comme uniques et véritables monuments aux morts, reconnaissance du néant de la mort une fois débarrassée des sentiments rassurants que procure la religion. Cette incarnation du vide dépend de la lecture, car la relation entre auteur et lecteur se forme dans l’acte de lecture de ce qui n’est pas sur la page. Dans ses dernières œuvres, son élégie porte sur une civilisation qu’elle voit sur le point de mourir, et elle se représente cette civilisation comme le « chant » qui résonne au cœur de la littérature.

  4. En septembre 1940, Woolf a commencé à écrire les premières pages de ce qu’elle nommait un « livre d’Histoire commune », lui donnant le titre de « Reading at Random ». On peut lire ce projet comme une version spéculative et très concentrée de la trajectoire décrite par Habermas dans The Structural Transformation of the Public Sphere. Dans cet ouvrage, Habermas souligne l’émergence d’une sphère publique depuis le « renversement radical » qui s’est produit juste avant la révolution française, lorsque les individus ont formé une assemblée pour exiger que « l’autorité publique soit légitimée par l’opinion publique42 ». Habermas voit dans les relations entre auteur et lecteur l’émergence de la subjectivité moderne et le développement d’une sphère publique ancrée dans les réflexions critiques d’individus qui entrent en dialogue en confrontant ce qu’ils ont vécu. Lorsque « l’opinion générale » est devenue « l’opinion publique » à la fin du dix-huitième siècle, les dangers inhérents à la rationalité des Lumières ont été repensés par des philosophes tels que Mill et Tocqueville, qui ont élevé la voix contre la menace que la sphère politique publique pouvait faire porter sur l’individualité.

  5. Dans ses brouillons, Woolf nomme la raison d’être de la littérature « le chant » et émet l’hypothèse que le discours humain trouve son origine dans l’imitation du chant des oiseaux. Le premier chapitre de son projet, intitulé « Anon », porte sur un chanteur ambulant anonyme, qui vient frapper à la porte de chaque cottage : le « chant » est un « appel à nos instincts primitifs. Rythme, son, vision43 ». Dans Between the Acts, le chant est entendu par bribes lorsque les villageois anonymes du chœur, dans la reconstitution historique, défilent entre les arbres. Dans un fragment très bref de 1939, intitulé « London in War », Woolf note que tout le monde dans la ville bombardée « ressentait la même chose : donc personne ne ressentait rien de singulier. » Signe du « prélude au barbarisme », elle remarque que « c’est comme si le chant avait cessé ». Dans « Reading at Random », le chanteur anonyme finit par être absorbé par le dramaturge, puis « le dramaturge est remplacé par l’homme qui écrit un livre. Le public est remplacé par le lecteur. Anon est mort44 ». Le livre, une fois que le nom d’un écrivain y est associé, fait naître le « privé », dit en substance Woolf. Habermas dit que « la subjectivité de l’individu devenu privé est liée, dès le départ, au caractère public », et donc à l’émergence d’une « sphère publique45 ». Dans la version analogue de cette trajectoire que Woolf présente, lecteur et auteur dépendent l’un de l’autre en une sorte de symbiose. Pour elle, le lecteur apparaît pour la première fois dans Anatomy of Melancholy de Burton (1621), « car c’est dans ce texte que nous trouvons un écrivain complètement conscient de son lecteur46 ». Avec cette nouvelle forme, de nouvelles facultés de la subjectivité deviennent opérantes : « Maintenant le lecteur existe complètement. Il peut s’arrêter ; il peut réfléchir ; il peut comparer… Il peut lire directement ce qui est sur la page, ou encore, il peut s’évader et lire ce qui n’est pas écrit47 ». Pour commenter cette idée, revenons à nouveau à Uhlmann :

L’art exige de nous que nous comprenions ce qui n’est pas présent dans le signifiant linguistique, ou ce qui le dépasse, ce qui est dans l’idée plutôt que dans le verbe. Paradoxalement donc, plutôt que d’inhiber quelqu’un qui écrit de la littérature, on pourrait comprendre ceci comme lui ouvrant des possibilités : les mots sont peut-être tellement liés entre eux qu’ils invoquent des moments de compréhension immédiate chez un lecteur, des moments de compréhension qui ont pour but d’excéder ce que les mots disent, d’aller au-delà des mots, grâce aux mots, en utilisant des signes tels que la musique du langage ou des images puissantes, pour ne prendre que quelques exemples48.

  1. « Lire » ce qui n’est pas écrit dépend de la relation entre auteur et lecteur, et c’est l’absence du lecteur justement qui précipite la crise dans les derniers écrits de Woolf, la rendant incapable de trouver une forme satisfaisante dans aucun des genres sur lesquels elle travaille entre 1939 et 1941. Elle écrit alors en juin 1940 : « J’ai été frappée par ce sentiment curieux que le « je » qui écrit a disparu. Il n’y a pas d’audience. Il n’y a pas d’écho. Cela fait partie de sa propre mort49 ». Un peu plus tôt ce même mois, elle avait écrit : « Il n’y a plus d’écho. Il n’y a plus rien autour50 ».

  2. N’avoir « rien autour » évoque autre chose que le simple sentiment d’être un apatride : cela signifie l’absence de perspective, l’absence d’une subjectivité même provisoire. Dans Between the Acts, « la seule chose qui prolongeait l’émotion (est) le chant », mais il est devenu inaudible. Le chant est précisément relié par Woolf à l’édification, à la protection. Heidegger décrit la maison comme « le caractère basique de l’Être51 »  : « nous ne demeurons pas parce que nous avons bâti, mais nous bâtissons et avons bâti parce que nous demeurons52 ». Dans « Reading at Random », Woolf écrit :

Prendre plaisir au chant, à entendre la chanson doit être l’instinct humain le plus ancré, le plus résistant, et sa persistance est comparable à l’instinct d’auto-préservation. C’est en fait la même chose que l’instinct d’auto-préservation. Ce n’est qu’en tirant les conclusions qui s’imposent, en unissant deux traits de crayon, deux mots écrits, deux briques, qu’on dépasse la dissolution et qu’on érige des barrières contre l’oubli. La passion avec laquelle on cherche ces créations et avec laquelle on essaie sans cesse, perpétuellement, de le faire, va de pair avec l’instinct qui nous pousse à préserver nos corps, nos vêtements, notre nourriture, nos toits et à éviter leur destruction53.

  1. La critique féministe que formule Iris Marion Young, philosophe politique, à l’égard de la pensée d’Heidegger souligne le présupposé masculin qui consiste à privilégier « l’action de bâtir comme fondement d’un monde pour le sujet actif54 ». Heidegger fait une distinction entre la préservation et la construction, puis, selon Young, délaisse le premier terme pour ne plus s’intéresser qu’au second. En cherchant à réaffirmer l’importance de la préservation comme aspect de la construction, Young met en lumière l’idée woolfienne d’une écriture comme fondation d’une demeure, et c’est peut-être dans cette idée que nous pourrions trouver une explication de la manière dont la « philosophie » woolfienne implique de mettre les émotions en adéquation pour créer une demeure pour l’absence, un lieu où déposer la perte que cette mort crée pour ceux qui restent.

  2. Dans les années 1930, Woolf commença à s’éloigner du formalisme qu’avait adopté Roger Fry, et renonça dans une certaine mesure à l’isolement de l’expérience esthétique, à l’idée selon laquelle l’esthétique serait comme un royaume complètement séparé de toutes les autres expériences.

  3. Son engagement pour The Craft of Fiction de Percy Lubbock, paru en 1921, constitua un moment crucial dans son approche des théories formalistes. Woolf était alors troublée par la question de savoir comment le formalisme promulgué par Fry en lien avec la peinture pouvait être appliqué à l’art narratif qu’elle mettait en œuvre. Elle écrit en 1924 à Fry que la forme en matière de fiction est différente de la forme dans les arts picturaux : « Je dis que c’est une émotion placée dans les bons rapports avec d’autres55 ». Lubbock avait écrit que « le livre lui-même » était pareil à « la statue elle-même », une idée qui maintient une séparation entre le sujet de la perception et l’objet artistique. Pour Woolf, comme nous l’avons vu, « le livre lui-même » n’est pas « une forme que l’on voit, mais une émotion que l’on ressent. » Bien qu’elle ait publié une critique de Lubbock en 1922 dans un essai intitulé « On Re-Reading Novels », elle n’est pas satisfaite de sa propre réponse. Après la mort de Virginia Woolf, Leonard Woolf publie une version de cet essai qui prend appui sur un document que Virginia Woolf avait continué à réviser. Dans cette version de son essai, elle développe des idées qu’elle avait commencé à exprimer à Fry au milieu des années 1920 :

Tout d’abord, lorsqu’on parle de forme, l’on veut dire que certaines émotions se sont trouvées dans des bons rapports entre elles ; ensuite, le romancier est capable de disposer ces émotions et de les faire parler par des méthodes dont il a hérité, qu’il fait évoluer pour son propre but, qu’il remodèle entièrement ou même qu’il invente. De plus, nous voulons dire que le lecteur peut détecter l’utilisation de ces outils, et qu’ainsi il approfondira sa compréhension du texte tandis que, pour le reste, on peut s’attendre à ce que les romans ne soient plus désordonnés et qu’ils prennent forme, à mesure que le romancier prend connaissance de sa technique et la manie avec de plus en plus de maîtrise56.

  1. Si l’on revient à l’idée que le travail de Woolf est une élégie, je suggérerais que la philosophie de Woolf lui a fait défaut au moment où la seconde guerre mondiale a éclaté. À la toute fin de Between the Acts, « la maison a perdu son abri » et deux personnages se retrouvent sans rien autour d’eux dans une « nuit avant que les routes n’existent, ou les maisons ». Woolf a décidé de ne pas publier cette œuvre qu’elle décrit comme « trop bête et banale », peut-être parce qu’elle comprenait qu’elle n’avait pas encore trouvé une demeure pour ce qu’elle espérait préserver.

La préservation, écrit Young, contient le souvenir, ce qui est bien différent de l’idée de la nostalgie. Là où la nostalgie peut être reconstruite comme un profond désir de s’évader hors des ambiguïtés et des déceptions du quotidien, le souvenir permet de faire face à la négativité ouverte de l’avenir en façonnant, à partir des souffrances et des joies du passé qui sont retenues dans les choses qui nous entourent, une confiance stable en ce que l’on est. Le désir nostalgique est toujours un désir d’ailleurs. Le souvenir est l’affirmation de ce qui nous a amenés où nous sommes57.

  1. Lucy Swithin dit au jeune homme dont elle a oublié le nom : « Nous vivons dans les autres, M…. nous vivons dans les choses58 ». Comme nous l’indique Heidegger, les choses sont ce qui est proche de nous, mais la proximité n’est pas affaire de distance. La technologie a aboli toute possibilité d’éloignement et pourtant elle ne nous a guère rapprochés des choses. Pour illustrer ce qu’est une chose, Heidegger évoque une simple cruche et pose la question tout à fait woolfienne de ce que cela signifie de dire qu’une chose est vide. À Pointz Hall, la pièce vide attend la présence d’une famille et leurs amis, et se trouve représentée par un vase posé au cœur de la maison « contenant l’essence distillée et tranquille du vide, du silence59 ». Heidegger dit que ce qui fait le caractère de chose de cette cruche c’est le vide qu’elle contient, ce vide formé par la cruche. La science nous dirait qu’elle n’est pas vide, mais la science n’explique pas « en quoi la chose est chose » : la nature de la cruche en tant que cruche c’est de contenir et de verser. Dans une autre méditation, Heidegger dit que l’espace ne peut pas être conçu comme « quelque chose qui fait face à l’homme ». « L’espace » n’est pas « un objet externe ni une expérience intérieure. » Si demeurer est la nature fondamentale de l’être, alors « dire que les mortels sont revient à dire qu’en demeurant ils persistent à travers les espaces en vertu de leur maintien au cœur des choses et des lieux60 ».  

  2. Dans un brouillon de Between the Acts, Woolf bataille pour formaliser cette relation entre l’humain et la chose, en réduisant la distance qui les sépare :

Qui observait la salle à manger ? Qui pouvait bien noter le silence du vide ? Cette présence a certainement besoin d’un nom, car sans nom une chose peut-elle exister ? Et comment le silence peut-il être observé par quelque chose qui n’a pas d’existence ? Or, quel nom peut-on donner à ce qui entre dans les pièces ?61

  1. Heidegger a peut-être une réponse : « Je ne suis jamais ici seulement, dans ce corps enfermé ; je suis plutôt là-bas, c’est-à-dire que j’habite déjà la pièce et c’est seulement pour cette raison que je peux la traverser62 ». La fiction de Woolf travaille en direction de ce que Merleau-Ponty décrit comme « l’idéal d’un langage qui en dernière analyse nous délivrerait du langage en nous rendant aux choses63 », mais Merleau-Ponty également reconnut que « le langage et la culture font échouer toute tentative de les concevoir comme un système capable de révéler la genèse de son propre sens. C’est parce que nous sommes le langage dont nous parlons. C’est-à-dire que nous sommes le terrain du langage à travers notre propre corps. C’est à travers notre corps que nous parlons du monde, parce que le monde à son tour nous parle à travers le corps64 ». Ou comme le dit Woolf dans « Sketch of the Past » : « nous sommes les mots, nous sommes la musique, nous sommes la chose elle-même65 ».

  2. Mettre les émotions en adéquation, c’était créer une forme jusqu’au vide de la mort, mais lorsque Woolf a cessé de compter sur la présence du lecteur et sa collaboration, comme elle l’a cru en 1941, la croyance en quelque chose qui existe indépendamment de soi a vacillé. Face à la généralisation écrasante exigée par la guerre, la mort est devenue un cliché, comme elle le devient dans le tapuscrit d’une nouvelle inachevée intitulée « The Symbol », datée du 1er mars 1940, un jour où Woolf écrit également à Ethel Smyth « nous n’avons pas d’avenir66 ». Dans cette nouvelle, une femme est assise et écrit une lettre. Elle aperçoit la chute fatale, sur le versant d’une montagne au loin, d’un groupe de jeunes hommes encordés. Quand elle voit cette scène, le stylo lui tombe de la main. Lorsqu’elle reprend l’écriture de sa lettre : « Il semble qu’il n’y ait guère de conclusion qui convienne » et seuls « de vieux clichés » viennent à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer la mort67. Afin de créer cette demeure pour le vide radical que cause l’expérience de la mort, l’écriture de Woolf avait besoin du lecteur. Au contraire de ce que Habermas a critiqué l’idée derridienne d’une « lisibilité absolue de l’écriture… en l’absence d’un public possible68 », la demeure créée par l’écriture woolfienne dépend de sa connexion à la réalité incarnée dans l’acte de lecture. Alors qu’elle entame une page de son journal à la fin de 1940, elle écrit : « Quelle est la valeur d’une philosophie qui n’a pas de pouvoir sur la vie ?69 » En guise de commémoration, je voudrais souligner que l’écriture de Woolf fonctionne souvent d’une manière qui est très proche des occasions de commémoration solennelles de la seconde partie du vingtième siècle qui ont renoncé à la nostalgie pour le souvenir. L’exemple le plus frappant serait sûrement le Mémorial pour les vétérans du Vietnam de Maya Lin que l’on peut voir à Washington. Ce que Peter Ehrenhaus a dit des opposants au mémorial de Lin pourrait s’appliquer à ceux qui ont du mal à voir Woolf parmi les philosophes : « Ils attendent « un discours » mais ne trouvent que du silence et ils entendent mal l’appel de ce silence70 ».

 

Traduit par Nicolas Boileau

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1 V. Woolf, Between the Acts, 38. Les citations des différents textes ont été traduites par nos soins [NB].

2 A. Damasio, The Feeling of What Happens, 9.

3 Ibid. 10.

4 Ibid.

5 Ibid. 107.

6 V. Woolf, Collected Essays: 2, 126.

7 V. Woolf,  Letters: 3, 247.

8 V. Woolf,  Letters: 4, 223.

9 V. Woolf,  Diary: 3, 102.

10 V. Woolf,  Letters: 3, 529.

11 V. Woolf,  Moments of Being, 81.

12 Ibid., 71.

13 V. Woolf, Moments  of Being, 70.

14 V. Woolf, Diary: 3, 34.

15 C. Malabou, What Should We Do with Our Brain?, 36.

16 V. Woolf, To the Lighthouse, 26.

17 M. Jay, “Scopic Regimes of Modernity”, 4.

18 N. Bryson, “The Gaze in the Expanded Field”, 97.

19 Ibid.

20 V. Woolf, Moments of Being, 71.

21 N. Bryson, “The Gaze in the Expanded Field”, 98.

22 V. Woolf, “Walter Sickert: A Conversation”, 236.

23 V. Woolf, Mrs. Dalloway, 30.

24 V. Woolf, To the Lighthouse ,182.

25 V. Woolf, Between the Acts, 26.

26 V. Woolf, Letters: 3, 133.

27 A. Uhlmann, Thinking in Literature, 32.

28 V. Woolf, Diary: 5, 170.

29 Ibid., 5 septembre 1938, 166.

30 Ibid., 200.

31 Ibid., 230.

32 Ibid., 311.

33 Ibid., mercredi 2 octobre, 327.

34 K. Nishida, “The Logic of the Place of Nothingness and the Religious Worldview”, 67.

35 J. Rose, “Virginia Woolf and the Death of Modernism”, 85.

36 Ibid., 79.

37 V. Woolf, Moments of Being, 79.

38 V. Woolf, Diary: 5, 285.

39 Ibid., 239.

40 V. Woolf, Moments of Being, 72.

41 V. Woolf, Diary: 5, 263-264.

42 J. Habermas, The Structural Transformation of the Public Sphere, 25-26.

43 V. Woolf, “Reading at Random”, 374.

44 Ibid., 398.

45 J. Habermas, The Structural Transformation of the Public Sphere, 50-51.

46 V. Woolf, “Reading at Random”, 429.

47 Ibid., 429.

48 A. Uhlmann, Thinking in Literature, 11-12.

49 V. Woolf, Diary: 5, 293.

50 Ibid., 299.

51 M. Heidegger, Poetry, Language, Thought, 160.

52 Ibid., 148.

53 V. Woolf, “Reading at Random”, 403n4.

54 I. M. Young, “House and Home: Feminist Variations on a Theme”, 253.

55 V. Woolf,  Letters: 3, 133.

56 V. Woolf,  Collected Essays: 2, 129-30.

57 I. M. Young, “House and Home: Feminist Variations on a Theme”, 275.

58 V. Woolf,  Between the Acts, 49.

59 Ibid., 26.

60 M. Heidegger, Poetry, Language, Thought, 156.

61 V. Woolf,  Pointz Hall, 61.

62 M. Heidegger, Poetry, Language, Thought, 157.

63 M. Merleau-Ponty, The Prose of the World, 4.

64 Ibid., xxxiii

65 V. Woolf, Moments of Being, 72.

66 V. Woolf, Letters: 6, 475.

67 V. Woolf, “The Symbol”, 290.

68 J. Habermas, Philosophical Discourse, 66.

69 V. Woolf, Diary: 5, 340.

70 P. Ehrenhaus, “Silence and Symbolic Expression”, 50.



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