Hölderlin lecteur : De Man avant Derrida

 

Cynthia Chase

Cornell University

 

  1. J’évoquerai ici la manière de lire de Paul de Man, en décrivant les origines de la déconstruction demanienne dans sa lecture de la poésie et de la critique littéraire de Friedrich Hölderlin. Cette perspective permettra d’apprécier les raisons de la spécificité du genre de la Dé­construction opéré par Paul de Man, « rhetorical reading ».

  2. Selon de Man, ce sont des textes de Rousseau et de Hölderlin qui lui donnèrent les idées sur l’écriture qui l’ont mis en désaccord avec la déconstruction de Rousseau offerte par Jacques Derrida. « Il n’y a pas de désaccord entre nous sur le fond de votre pensée », écrivit de Man dans une lettre à Jacques Derrida citée par celui-là dans Mémoires pour Paul de Man, « mais une certaine divergence dans notre manière de nuancer et de situer Rousseau. Cette divergence m’importe parce que les notions auxquelles j’avais pu parvenir sur la question de l’écriture avant d’avoir le profit de votre propre pensée, m’étaient surtout venues de Rousseau (et de Hölderlin)1 ». Une des plus importantes de ces « notions », c’est préci­sément l’idée de Rousseau qu’il récupère dans les écrits de Hölderlin. On voit émerger d’un hymne de Hölderlin, « Le Rhin », interprété par de Man en 1959 et 1965, le Rousseau lucide qui prend le devant dans « Rhétorique de la cécité », sa réplique à De la grammatologie publié dans Poétique en 1970. Dans « Hölderlin et la tradition romantique » déjà, en 1959, la pre­mière fois que de Man écrit publiquement sur Rousseau, et encore en 1965 dans « L'Image de Rousseau dans la poésie de Hölderlin », essai majeur où de Man entreprend pour la première fois de s'adresser à la poésie de Hölderlin en entier, Rousseau ressort comme l’instance exemplaire d’une lucidité qui fait contraste avec la « cécité » que Derrida prête à l’auteur de L’Essai sur l’origine des langues. Les « notions » que de Man doit selon lui à Rousseau et à Hölderlin perdurent dans ce qu’il écrit, après comme avant 1970, l’année de sa recension et de sa réponse à De la gram­matologie. On le voit dans Allégories de la lecture, le livre de 1979, dont six chapitres sur douze traitent de Rousseau, dans les essais rassemblés dans Critical Writings 1953-1978, et dans son ouvrage sur les romantiques anglais, La Rhétorique du romantisme, paru en 1983, année de sa mort.

  3. De Man se tourne vers les traductions de Hölderlin, aussi bien que vers la poésie, et surtout vers Antigonä et les « Remarques sur Antigone » de 1803. C’est à partir de son interprétation des « Remarques sur Antigone » que de Man achève son interprétation de la figure de Rousseau dans « Le Rhin ». Et il y a recours aussi pour compléter son argument au sujet d’un dilemme qui lui tenait à cœur — le destin, la possibilité même, de la poésie contemporaine : c’est la question à la conclusion de « Hölderlin et la tradition romantique », aussi bien que de « Le Devenir, la poésie », publiée en 19562. Hölderlin y apparaît comme celui qui a su concevoir une « action proprement historique, c’est-à-dire génératrice d’avenir », et qui laisse découvrir aussi, en se servant « d’un symbolisme historique pour illustrer sa pensée », « une véritable poétique3 ».

  4. Comment comprendre l’affirmation dans la lettre de Paul de Man de l’origine de ses idées sur la question de l’écriture? Et comment lire la phrase, opaque, où se trouve concentrée sa lecture hölderlinienne de Rousseau ? Cette phrase se trouve dans « Hölderlin et la tradition romantique », conférence que de Man donna à Brandeis University en février 1959. Il affirme que la figure qui surgit dans l'hymne « Der Rhein » est « un Rousseau aussi occidental qu’Antigone est grecque ». Un des meilleurs moyens de comprendre ce qui resta pour de Man la signification historique de Jean-Jacques Rousseau est de reconstruire la signification de cette formule, et nous y reviendrons.

  5. On peut repérer le nœud du désaccord entre Derrida et de Man au sujet de Rousseau en prenant leurs interprétations du troisième chapitre de L’Essai sur l’origine des langues, « Que le premier langage dut être figuré ». Derrida en vient à conclure, « Ainsi, tout en affirmant en apparence que le premier langage fut figuré, Rousseau maintient le propre […]4 » « En un mot, il rend à l’expression des émotions une propriété qu’il accepte de perdre, dès l’origine, dans la désignation des objets5. » C’est cela que de Man a contesté. S’il  n’y a « aucun désaccord entre nous sur le fond de votre pensée », il y a bien désaccord sur l’interprétation de l’Essai de Rousseau. Pour Derrida c’est une affirmation de la priorité de la « présence ». Pour de Man, c’est un locus de la compréhension que partagera Jacques Derrida lui-même deux siècles après.

  6. De Man résume ainsi la thèse de Derrida : selon Derrida, « Rousseau ne place plus le sens propre dans le référent de la métaphore conçue comme objet, [mais] [il] intériorise l’objet et réfère la métaphore à un état de conscience interne, un sentiment ou une passion ». Derrida arrive à conclure :

Ainsi, tout en affirmant en apparence que le premier langage fut figuré, Rousseau maintient le propre: comme archie et comme telos. À l’origine, puisque l’idée première de la passion, son premier représentant, est proprement exprimée. A la fin, parce que l’esprit éclairé fixe le sens propre6.

  1. L’interprétation par Derrida du troisième chapitre de l’Essai est selon de Man « en accord avec l’image générale que Derrida donne de Rousseau dans l’histoire de la pensée occidentale », c’est-à-dire « le moment où le postulat de la présence est évacuée du monde extérieur et transportée au sein de l’intériorité réflexive d’une conscience ». Ainsi, continue de Man, « on [c’est-à-dire Derrida] montre que la récupération de la présence s’opère le long de l’axe de la polarité intérieur/extérieur ». C’est une description par trop familière du romantisme, que depuis Hegel on identifie avec l’internalisation de la référence. Évoquer et attribuer à Rousseau « la récupération de la présence […] le long de l’axe de la polarité intérieur/extérieur », c’est lui prêter une idée de l’affect qui en fait un objet interne de référence. Parmi bien des passages de Rousseau discutés dans De la grammatologie, dans « Rhétorique de la cécité » de Man se tourne très précisément vers les chapitres de l’Essai sur la musique (13-16). C’est ce qu’écrit Rousseau sur la musique qui donne à Paul de Man la description du système de rapports entre les signes, qu’il appelle une « anticipation remarquable » de la pensée de Derrida. De Man, comme Derrida, parle d’un « axe » sur lequel des éléments se placent, mais ce que de Man impute à la pensée de Rousseau, ce n’est pas « l’axe de la polarité intérieur-extérieur », c’est un « axe temporel7 ».

Le Discours sur l’origine de l’inégalité ou L’Essai sur l’origine des langues ne font pas l’histoire d’une genèse, d’un processus généalogique de naissance et de dégénérescence. […] Ils ne « représentent » pas un évènement qui serait successif, mais sont la projection mélodique, musicale et successive d’un seul instant de contradiction radicale—le présent—sur l’axe temporel d’un récit diachronique8.

  1. Cette phrase résume une thèse majeure de « Rhétorique de la cécité ». D’où vient ce motif, la musique, la mélodie ? Premièrement du chapitre xvi de l’Essai de Rousseau, évidemment. « “Un son n’est rien natu­rellement” », écrit de Man, citant Rousseau.

Renversant la hiérarchie prédominante du xviiième siècle, Rousseau affirme la priorité de la musique sur la peinture (et, à l’intérieur de la musique, de la mélodie sur l’harmonie) au nom d’un système de valeurs qui est plus structural que substantiel : la musique est dite supérieure à la peinture malgré et même à cause de son manque de consistance. […] La musique est un pur jeu de relations.

  1. « Dans une anticipation remarquable », poursuit de Man, « Rousseau décrit la musique comme un système de pures relations qui en aucun cas ne dépend d’affirmations positives d’une présence, qu’elle soit sensation ou conscience». « Anticipation remarquable » de ce que De la grammatologie affirmera du langage. Ce qui est, en même temps, une théorie du langage que de Man voudrait bien accepter comme sienne.

  2. De Man affirme que « la priorité du trait, du dessin, sur la couleur, de la mélodie sur le son », vient du fait que

tous deux sont orientés vers la signification et dépendent moins des impressions sensorielles… le signe ne cesse jamais de fonctionner comme signifiant et reste entièrement orienté vers une signification. Sa propre composante sensorielle est contingente et distrait l’esprit. La raison n’en est pas, pourtant, comme Derrida le suggère, parce que Rousseau veuille que le signifié existe comme plénitude et comme présence. Le signe est vide de toute substance, non parce qu’il doit être un indice transparent se gardant bien de masquer une plénitude de signification, mais parce que la signification elle-même est vide ; le signe ne doit surtout pas offrir sa propre richesse sensorielle comme substitut pour le vide qu’il signifie. Contrairement à l’assertion de Derrida, la théorie de représentation de Rousseau ne tend pas vers une signification comme présence et plénitude, mais vers la signification comme vide9.

  1. Dans les sommations qu’il prête à l’Essai sur l’origine des langues, c’est de Man qui parle, c’est de Man qui signe :

La structure successive de la musique est … la conséquence directe de son caractère non-imitatif. […] La musique est la version diachronique de la structure de non-coincidence dans l’instant10.

  1. D’où viennent de telles certitudes ? Dans sa lettre à Derrida, de Man nomme sa source. S’il y a une origine de la pensée « sur la question de l’écriture » qu’on lit dans Paul de Man, elle n’est pas seulement l’œuvre de Rousseau. Mais « Rousseau (et Hölderlin) ». Pour nommer cette source, il faut de l’écriture, pour que figurent ces marques de parenthèses. La parenthèse sépare, mais joint aussi les deux noms, comme pour en créer le nom d’un retour sur soi et le nom d’une complication du geste de nommer.

  2. Alors, la source du motif de la musique dans « Rhétorique de la cécité » n’est pas que Rousseau: c’est aussi Hölderlin, et surtout le poème qui avant d’être dédié à son ami Sinclair fut dédié à Wilhelm Heinse, qui lui parlait de la musique pendant l’été de 1796. Le motif de la musique, de la « ligne » mélodique, se montre tout d’abord dans la lecture par de Man du poème « Le Rhin ». La musique y apparaît en trope, et dans une strophe où il est question, justement, de Rousseau. Cette strophe — la onzième — est signalée par de Man comme spécialement révélatrice, en ce qu’elle fait allusion à la Cinquième Promenade, au séjour de Rousseau au lac de Bienne.

Tel est l’état où je me suis trouvé souvent à l’Ile St Pierre dans mes Rêveries solitaires, soit couché sur mon bateau que je laissois dériver au gré de l’eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d’une belle rivière ou d’un ruisseau murmurant sur le gravier11.

  1. C’est une phrase qui évoque la musique non seulement par le sujet mais par le jeu de son « ruisseau murmurant ». Dans la strophe 10 fut introduit le nom de Rousseau, qui a un « sicherer Sinn,/ Und süsse Gaabe zu hören,/ Zu reden … » Gustave Roud traduit, « ce don si doux de savoir entendre et de parler12 ». De la strophe 11 :

Et l’homme, le mortel, lui aussi s’émerveille et s’épeure

Lorsqu’il éprouve en pensée le poids du ciel

Dont ses bras pleins d’amour ont chargé son épaule,

Et le faix de la joie.

Et alors

Le destin le plus doux lui semble

Souvent de vivre là, presque oublié, dans l’ombre

De la forêt où nul rayon ne brûle, sur la rive

Du lac de Bienne, au cœur de la fraîche verdure,

Et de prendre, insoucieux de sa voix pauvre, tout pareil

Aux novices, leçon des rossignols13.

 

Drum überrraschet es auch

Und Schrökt den sterbliche Mann,

Wenn er den Himmel, den

Er mit den liebenden Armen

Sich auf die Schultern gehaüft

Und die last der Freude bedenkt:

Dann scheint ihm oft das Beste,

Fast ganz vergessen da,

Wo der Strahl nicht brennt

Im Schatten des Walds

Am Bielersee in frischer Grüne zu seyn,

Und sorglosarm an Tönen,

Anfängern gleich, bei Nachtigallen zu lernen14.

  1. De ce Rousseau au « Bielersee » de Man écrit :

Contrairement au héros Prométhéen qui n’est associé qu’avec des actes, Rousseau […] apparaît surtout comme l’homme du langage : il écoute (vers 143), il parle (v. 144), il offre le langage (v. 146) et le chant (v. 165). Il apparaît également comme la créature de la temporalité : le bruit de la source, que son langage reflète, est le rythme fondamental, la mesure musicale du temps. On hésite à se servir de ce terme de musique, car nous avons une tendance presque irrésistible à penser le son comme sensation et à égaler la musique à la muse sensuelle de l’harmonie. Le langage poétique peut être dit musical dans la mesure où il est conscience et non objet, dans la mesure où le mot « eau » est plus proche de l’essence ontologique de l’eau que la sensation de cet élément. Mieux vaut peut-être utiliser un terme comme « histoire », quelque corrompu qu’il soit ; c’est en tant que créature de la terre, créature axée sur le langage et sur le temps, que Rousseau agit profondément sur l’histoire15.

  1. C’est en tant que « créature axée sur le langage et sur le temps », « langage [qui] reflète le rythme fondamental, la mesure musicale du temps », que Rousseau fait exception, parmi les penseurs traités dans le livre pour lequel fut écrit « Rhétorique de la cécité » — le premier livre de Paul de Man, Blindness and Insight (1971).

  2. Le Rousseau dont de Man trace l’image dans les poèmes de Hölderlin, c’est le Rousseau que de Man fera sien. On note cette appropriation quand, à la dernière page, « L’Image de Rousseau dans la poésie de Hölderlin » passe franchement au style indirect libre et s’achève ainsi :

Un homme exista qui, en réaffirmant la priorité ontologique de la conscience sur l’objet sensible, ramena la pensée et le destin de l’Occident dans sa voie authentique ; le même homme eut la sagesse et la patience de demeurer fidèle aux limitations que ce savoir impose, de par ses propres lois, à l’esprit humain. Cet homme s’appelle Rousseau. Son acte s’appelle : sich zusammennehmen16.

  1. Les idées de de Man sur Rousseau ne viennent pas seulement de sa lecture de Rousseau, elles viennent de Hölderlin. Mais d’un certain Hölderlin : Hölderlin lecteur de Rousseau, qui tient compte de la place de la Cinquième Promenade dans un itinéraire qui commence avec le Discours sur l’inégalité. Dans « Der Rhein » Hölderlin « s’occupe non seulement de ce qui est exprimé dans le texte de Rousseau mais premièrement de son expression17 ». De Man fait de même : dans sa conférence de 1959, il dessine une trajectoire où se succèdent des modes d’ « expression », ou des rapports au langage différents. Allégories de la lecture (1979) vise l’acte d’écrire, « l’expression » qui s’accomplit et se réfléchit dans un œuvre spécifique : « Métaphore (Second Discours) », « Allégorie (Julie) », « Promesses (Contrat Social) », « Excuses (Confessions) ». Comme on verra, c’est la manière de lire de Hölderlin, exemplifiée aussi et surtout dans les Remarques sur Antigone, qui modelait les lectures de Paul de Man qu’on appelle « rhetorical reading ».

  2. Ce qui perdure, de sa première lecture hölderlinienne de Rousseau, ce sont la valorisation de Rousseau à l’écoute de « la mesure musicale du temps » à l’île St Pierre, et son placement dans une vision de l’histoire qui repose sur le concept, unique à Hölderlin, de « Umkehr », du retournement vers le « nationell », concept qui distingue et sépare de tout romantisme ou classicisme l’hellénisme singulier de Hölderlin. C’est dans un tel contexte que devient lisible cette phrase-clef énigmatique « un Rousseau aussi occidental qu’Antigone est grecque ». Il faut alors nous tourner vers Antigone, et remarquer ce que de Man a saisi de Hölderlin traducteur. Car des deux textes où de Man invoque Antigone viennent des inférences qui anticipent et commentent des idées qu’il développera vingt ans plus tard.

  3. Antigone surgit dans la conférence de 1959 sur « Der Rhein » lorsque de Man compare deux langages poétiques. De Man met en valeur dans le texte de Hölderlin les mots qui désignent des actes de langage : sich fassen et etwas treffen. Il avait déjà souligné « cette idée inattendue et profonde [de Hölderlin] que ce qui est inné se présente à nous comme ce qui est le plus difficile, tandis que l’esprit se complaît et se trouve à l’aise dans ce qui lui est étranger18 ». Cette idée exprime, affirme Paul de Man, la renonciation, « le renoncement qui […] est le centre » de la vision hölderlinienne de la poétique, notion qui nourrit son concept de « Umkehr », puisqu’il s’agit de faire un « retournement » pour maîtriser finalement son « don inné » — ce qui est le plus difficile á maîtriser — et pour cela il faut renoncer à sa « tendance principale » (« Haupttendenz »). Hölderlin écrit à son ami Böhlendorff, le 4 décembre 1801 :

Les Grecs sont moins maîtres du pathétisme sacré [heilige Pathos], car celui-ci leur était inné, par contre ils excellent à partir d’Homère dans le don d’exposition, car cet homme extraordinaire avait assez d’âme pour ravir, au profit de son royaume apollinien, la sobriété junonienne de l’Occident, et s’approprier ainsi véritablement l’élément étranger19.

  1. De Man s’approprie l’idée d’un rapport dialectique en forme de chiasme asymétrique : ce qui est pour les Grecs leur nature (heilige Pathos, feu du ciel) est recherché par les modernes au moyen de leur culture, leur « Haupttendenz » ; tandis que ce qui est le « don inné » des modernes ou « Hespériens » (« Klarheit der Darstellung » et « sobriété Junonienne ») est la culture pour les Grecs. La « tendance », l’effort le plus soutenu, dans les modes de représentation de notre temps, est « etwas treffen zu können », frapper (to hit) quelque chose, écrit Hölderlin, car c’est là notre faiblesse, tandis que l’effort des Grecs fut « sich fassen zu können », se concevoir, se saisir, parce que c’était là qu’était leur faiblesse. Le « vaterländische Umkehr20 », c’est le détournement, le relâchement de sa tentative d’atteindre ce qu’on n’a (ou n’est) pas, pour se retourner vers ce qui est inné, natal, et donc le plus difficile à maîtriser. « Le moment le plus haut dans le destin d’Antigone », écrit de Man, « est un tel moment d’Umkehr21 ».

  2. L’originalité de son interprétation d’Antigone en 1959 se laisse apercevoir dans sa description laconique de l’acte fatal d’Antigone comme son « choix pour le destin de Niobé ». Il ne dit rien des rites d’enterrement. À cet égard, en signalant le passage où Antigone compare son destin avec celui de Niobé, de Man suit de près l’exemple de Hölderlin dans la deuxième partie des Remarques sur Antigone. Citant le premier vers de cette comparaison — « On m’a dit que semblable au désert elle est devenue (etc.) » (« Ich habe gehört, wie eine Wüste gleich sei worden etc.22 ») —Hölderlin écrit en-dessous : « Sans doute le plus haut trait d’Antigone23 ». Lequel ? Subir la métamorphose de Niobé ? Ou se comparer à elle ? De la phrase raccourcie de Hölderlin, de Man préserve l’ambiguité ou plutôt le double sens. Il écrit d’Antigone : « […] elle sait que son choix sera celui de la mort. A ce moment précis, elle se compare à Niobé, la fille de Tantale, qui fut changée en pierre par Artémis et Apollon24 ». Cette paraphrase achève par un raccourci rapide la condensation du mythe en une métamorphose. Au lieu de suivre, de Man se sépare du commentaire de Hölderlin en affirmant qu’Antigone se transforme en pierre : « changes into a stone ». Hölderlin, par contre, s’attarde dans ses « Remarques » sur le mot « désert », « Wüste». Je cite :

Au faîte de la conscience, l’âme se compare alors toujours à des objets qui n’ont pas de conscience mais qui admettent dans leur destin la forme de la conscience. Tel est un pays devenu désert qui dans l’exubérance originelle de sa fécondité amplifie excessivement les effets de la lumière solaire, et par là même devient aride. Destin de Niobé, la Phrygienne […]25.

  1. Pourtant c’est sur une Antigone changée en pierre que s’appuie le contraste qui intéresse de Man entre la fille d’Œdipe et l’auteur de la Cinquième Rêverie. Tandis qu’Antigone — écrit de Man — tout comme Niobé, peut

ne faire qu’une avec la pierre, Rousseau est l’homme tourné dans la direction opposée : non pas vers le Pan de la terre et de la nature, mais vers les cieux translucides et mobiles de la conscience et de l’existence humaine […] L’essence de l’Unité, que l’homme occidental avait toujours située dans l’objet naturel, est localisée par Rousseau dans la conscience que l’homme a de lui-même en tant qu’existant26.

  1. C’est cet Umkehr-là, cette réorientation fondamentale, qui en fait « un Rousseau aussi occidental qu’Antigone est grecque ».

  2. Dire que c’est en pierre qu’Antigone est transformée, donne à de Man la possibilité d’assimiler l’acte d’Antigone avec la création, par les Grecs, de statues. Il en ressort une image de la sculpture grecque bien autre que celle de Winckelmann ou de Keats. Il écrit ainsi :

la décision d’Antigone de s’identifier à Niobé est un retour à elle-même par lequel elle assume la véritable identité nationale grecque. L’acte grec par excellence est celui-là même par lequel un être humain choisit de devenir l’objet qu’il peut atteindre, devenant terre ou pierre, les plus résolument plastiques et opaques de toutes les substances.  La figure humaine osant se faire pierre, tel est l’accomplissement suprême pour les Grecs ; il est dès lors naturel que la permanence grecque soit figée pour toujours dans les statues de marbres laissées par leur sculpteurs, plus encore que dans leur poésie. Toujours nostalgique d’une transparence et d’une fluidité de l’Esprit, le Grec n’est jamais autant lui-même que quand il renonce à cette nostalgie et recouvre son aptitude naturelle et originelle d’être pierre et terre. […] [La] supériorité [des Grecs] réside en ce qu’ils ont osé, comme Antigone a osé devenir Niobé, être entièrement ce qu’ils sont, plutôt que de tenter de devenir ce qu’ils ne sont pas. […] Contrairement à la Grèce, l’Occident n’a pas encore osé effectuer ce retour sur lui-même27.

  1. C’est l’intimation d’une autre histoire, non-hégélienne — hölderlinienne — de la Grèce, et d’un chiasme, qui fait chasme, qui sépare les Grecs et les modernes. Ainsi les dernières pages de « Hölderlin et la tradition romantique » décrivent-elles l’art qui devrait succéder à « la permanence grecque figée pour toujours. » — le décrivent d’une manière qui implique un art qui n’est plus de l’art, un post-art, un art qui n’est pas « l’apparence sensorielle de l’idée28 ». Une « poésie » associée par Paul de Man avec spät Rousseau et Hölderlin tardif. Ses traits, de Man les découvre dans la figure de Rousseau à l’île St Pierre « regardant le ciel » ; et dans la Maas, la mesure, celle des rythmes d’une extrême complexité — une « architectonique du ciel » — des hymnes tardifs de Hölderlin. Et ainsi les termes de l’opposition de 1959 entre Antigone et « un Rousseau aussi occidental qu’Antigone est grecque » anticipent la critique de l’idéologie esthétique achevée par de Man dans les années quatre-vingt : la critique de l’idéologie esthétique enracinée dans une canonisation de Hegel qui valorise le symbole en le distinguant du signe et de l’allégorie. C’est dans son interprétation d’une Antigone qui « ose devenir Niobé » que la déconstruction demanienne puise sa passion et trouve ses points de repère.

  2. Antigone figure aussi Hölderlin traducteur. « C’est que partout il nous faut présenter les mythes de manière plus probante29 », « beweisbarer », « plus démontrable », écrit Hölderlin30. Il explique sa traduction des vers sur Danae : au lieu de Zeus, il écrit « Vater der Zeit », et Danae devient celle qui « comptait au Père du Temps/ Les coups de l’heure, les dorés ». De Man dans « Le Devenir, la poésie » (1956) interprète cette image de Danae comme une image du « poète occidental […] qui “compte les heures” qui le séparent encore du moment tant attendu auquel il pourra accéder de nouveau à ce qu’il a perdu31 ». Et Antigone ? C’est Antigone elle-même qui dénomme Niobé sans la nommer — « la féconde, la Phrygienne, née/ dans le sein de Tantale » — et ce faisant elle obéit à un principe de traduction mis en exemple dans les Remarques sur Antigone : substituer au nom d’un dieu l’énumération de ses attributs. Cela crée un trope allégorique qui « traduit » le nom propre ou l’épithète dans le texte originaire.

  3. Antigone, elle, ne compte plus les heures ; elle est le type du traducteur moderne, transformant en inscription « plus démontrable » la légende reçue. Ce que fait Antigone — et ce que fait Hölderlin en traduisant les noms propres des dieux — c’est démanteler un anthropomorphisme pour le remplacer par une énumération d’attributs qui formera une image (ce sont là trois termes-clefs dans des lectures que de Man écrira vingt ans plus tard)32, ici l’image d’un paysage qui est la métamorphose d’une mère éplorée.

On m’a dit que semblable au désert elle est devenue,

elle, la féconde, la Phrygienne, née

dans le sein de Tantale—au sommet du Sipyle,

que rugueuse elle est devenue

et que l’a étreinte, comme le fait une lierre,

une lente roche ; et toujours, disent les hommes,

l’hiver reste auprès d’elle ;

et lavent sa gorge les larmes

claires comme neige de ses paupières.

Il est semblable l’Esprit qui me porte à cette couche.

 

Hökricht sei worden die und wie eins Epheuketten

Anthut, in langsamen Fels

Zusammengezogen; und immerhin bei ihr,

Wie Männer sagen, bleibt der Winter;

Und waschet den Hals ihr unter

Schneehellen Thränen der Wimpern33.

  1. Si Antigone est unheimlich — et elle l’est, dans ce passage du Hölderlin tardif qui surgit en plein milieu de la conférence de Paul de Man sur « Le Rhin » — c’est que, en même temps qu’elle démontre la pratique de traduction de Hölderlin, elle présente de manière démontrable une métamorphose en pierre. Et si c’était cela, la figure de Hölderlin traducteur ?

  2. La traduction pour Hölderlin est un effort de « Umkehr », un renoncement à vouloir coïncider avec les mots grecs — prendre origine comme eux — pour un autre geste : celui d’ « accentuer le principe ou élément que l’original a occulté34 ». Les vers d’Antigone dans les passages cités dans les Remarques et dans « Hölderlin et la tradition romantique » présentent une technique, et une éthique, de cette traduction hölderlinienne. Elle nous met devant une aporie, une « ambiguïté » comme de Man l’appellera dans ses « rhetorical readings » de Proust, de Wordsworth, de Shelley — une tension irréductible entre fonction et sens. La fonction d’Antigone, c’est de traduire — instance de l’Umkehr exigée (et évitée) des modernes. Sa signification, son sens, c’est l’Umkehr grecque, le « choix pour le destin de Niobé » : se transformer en pierre, et ainsi réaliser la permanence grecque en accomplissant le « retournement » propre à la civilisation grecque.

  3. Les Remarques sur Antigone offrent aussi des « notions » sur l’écriture et sur l’image poétique que de Man développa dans « Structure intentionnelle de l’image romantique » et dans « Rhétorique de la temporalité », essais de 1960 et 1969. Hölderlin commente ainsi le vers qu’il vient de citer du discours d’Antigone : « Ich habe gehört, wie eine Wüste gleich sei worden, » « On m’a dit que semblable au désert elle est devenue » :

C’est une grande ressource de l’âme dans son travail secret, qu’au plus haut de la conscience, elle se dérobe à la conscience…Au faîte de la conscience, l’âme se compare alors toujours à des objets qui n’ont pas de conscience mais qui admettent dans leur destin la forme de la conscience. Tel est un pays devenu désert [….] Destin de Niobé, la Phrygienne […]35.

  1. Un autre exemple d’un tel geste — se comparer à des objets qui n'ont pas de conscience — est la métaphore dans « Brot und Wein » qui exemplifie pour Paul de Man « la structure intentionnelle de l’image romantique » : « Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen entstehen ». (« Maintenant doivent prendre origine [entstehen] des mots comme prennent origine les fleurs »). Prendre origine comme des « fleurs » —impossible, car originer, « entstehen », n’est pas leur façon de naître — a le même statut d’impossibilité que « vivre comme la pierre ». Notion qu’il faudra toute l’autobiographie de Wordsworth (The Prelude) pour enfin naturaliser, transformer en épithète supplémentaire, dans des références à « the living stone » comme à un élément du paysage de chez lui. Cependant ce geste par lequel « la conscience […] se compare […] à des objets qui n’ont pas de conscience » n’a pas toujours le même sens : la conscience voulant rendre identique sa naissance avec celle des fleurs n’est pas un renoncement, un exemple d’Umkehr, mais c’est l’élan nostalgique de la conscience qui voudrait acquérir la stabilité ontologique de l’objet naturel ; ce n’est pas l’Umkehr, mais plutôt la « tendance principale » des modernes, tendance à laquelle il faudrait renoncer. La métamorphose en pierre représente le véritable aspect négatif de cette identification désirée entre mot et fleur. En évoquant la légende de Niobé, le texte devient, comme de Man le dit en parlant de la poésie de Hölderlin, « a poetry of warning », eine Mahnung, un avertissement. De là le ton sombre des essais de Paul de Man sur le romantisme ; il perpétue cet avertissement. Ainsi par exemple dans « Anthropomorphism and Trope in the Lyric », de Man s’arrête devant le mot « anthropomorphisme » dans le postulat provocateur de Nietzsche : « Qu’est-ce que la vérité ? Une armée mouvante de métaphores, métonymies, et anthropomorphismes… » Un anthropomorphisme n’est pas (avertit de Man) comme les autres, une figure, un trope ; non, plutôt « il fige la chaîne infinie de transformations tropologiques et de propositions en une seule assertion ou essence qui, en tant que telle, exclut toutes les autres36 ». Démanteler des anthropomorphismes, pour représenter « de manière plus démontrable » les histoires, c’est le but que se donne Hölderlin traducteur. Cette perspective est congruente avec la réflexion sur le langage figuré de certains passages — paysages — de Wordsworth, Hölderlin, et Rousseau que de Man poursuit dans « The Rhetoric of Temporality », dont le grand exemple est le jardin allégorique de Julie dans La Nouvelle Héloïse37.

  2. Le nom de Hölderlin apparaît dans la préface du dernier livre de Paul de Man publié de son vivant, The Rhetoric of Romanticism. Il écrit qu’il lui faudra laisser à d’autres la tâche d’une définition historique du romantisme : « J’ai moi-même pris refuge dans des enquêtes plus théoriques sur le problème du langage figuré38 ». Il ne peut pas non plus, dit-il, suivre Adorno dans sa déclaration du statut exemplaire d’un style paratactique39. Cette affirmation fut établie, poursuit-il, « interestingly enough, in connexion with the poetry of Hölderlin, the obvious stumbling block of my own enterprise40 ». Comment traduire cette phrase et cette expression, « stumbling block » : « La pierre sur laquelle ma propre entreprise a trébuché » ? Admettons qu’une telle pierre, Stolperstein vivace, put orienter une trajectoire et donner la mesure du pas. C’est ainsi que les écrits de Hölderlin ont influencé l’itinéraire de Paul de Man.

     

Bibliographie

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  • De Man, Paul. « L’Image de Rousseau dans la poésie de Hölderlin ». Deutsche Beitrage zur geistigen Überlieferung 5 (1965) : 157-83.

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  • Frey, Hans-Jost. Studies in Poetic Discourse: Mallarmé, Baudelaire, Rimbaud, Hölderlin. Stanford: Stanford University Press, 1996.

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  • Warminski, Andrzej. « Machinal Effects: Derrida With and Without de Man ». MLN 124 (2009) : 1072-1090.

1  J. Derrida. Mémoires pour Paul de Man, 127-8. De Man poursuit : « Le désir d’exempter Rousseau à tout prix (comme vous dites) de la cécité est donc pour moi un geste de fidélité à mon propre itinéraire. Rousseau m’avait conduit à une certaine compréhension qui, toutes proportions gardées, me semblait proche de celle par laquelle vous avez eu la force de commencer. Et comme L’Essai sur l’origine des langues est un des textes sur lesquels je me fondais depuis assez longtemps, j’ai dû mettre un certain acharnement à en défendre la relative lucidité dont j’avais bénéficié ».

2 Je me sers de la traduction de « Hölderlin and the Romantic Tradition » composée par Amélie Ducroux.

3 P. De Man, « Le devenir, la poésie », 119.

4 J. Derrida, De la grammatologie, 392.

5 Ibid., 389.

6 J. Derrida, De la grammatologie, 392

7 J. Wilner, « Primal Encounters around the Essai sur l’origine des langues », International Conference on Romanticism, 2011.

8 P. de Man, « Rhétorique de la cécité », 468-9.

9 P. de Man, « Rhétorique de la cécité », 465.

10 Ibid., 467.

11 J.-J. Rousseau, Œuvres I : 1046-47

12 F. Hölderlin, Œuvres, 853.

13 Ibid., 853.

14 F. Hölderlin, Werke und Briefe I, 151.

15 P. de Man, « L’Image de Rousseau dans la poésie de Hölderlin », 175.

16 P. de Man, « Rhétorique de la cécité », 178.

17 H.-J. Frey, Studies in Poetic Discourse, 145.

18 P. de Man, « Le devenir, la poésie », 120.

19 F. Hölderlin, Œuvres, 1003.

20 F. Hölderlin, Werke und Briefe, II, 789.

21 P. de Man, « Hölderlin and the Romantic Tradition », 115.

22 F. Hölderlin, Werke und Briefe, II, 785.

23 Traduction de P. Lacoue-Labarthe, Hölderlin. Antigone de Sophocle, 165.

24 Traduction d’Amélie Ducroux. Voir P. De Man, « Hölderlin and the Romantic Tradition », 115.

25 F. Hölderlin, Antigone de Sophocle, 165.

26 P. De Man, « Hölderlin and the Romantic Tradition », 117.

27 Traduction d’Amélie Ducroux. Voir P. De Man, « Hölderlin and the Romantic Tradition », 115-16.

28 Ce fut la réponse d’Andrzej Warminski en lisant ces paragraphes de « Hölderlin et la tradition romantique », alors un texte nouvellement redécouvert de Paul de Man.

29 F. Hölderlin, Antigone de Sophocle, 167.

30 Ibid., 165.

31 P. de Man, « Le Devenir, la poésie », 121.

32 Voir surtout « Anthropomorphism and Trope in the Lyric », The Rhetoric of Romanticism, 241, 262.

33 F. Hölderlin, Antigone de Sophocle, 100-101.

34 A. Berman, Hölderlin vu de France, 136.

35 F. Hölderlin, Antigone de Sophocle, 165.

36 P. de Man, The Rhetoric of Romanticism, 241.

37 P. de Man, Blindness and Insight, 203-5.

38 P. de Man, The Rhetoric of Romanticism, 32.

39 « I feel myself compelled to repeated frustration in a persistent attempt to write as if a dialectical summation were possible beyond the breaks and interruptions that the readings disclose. The apparent resignation to aphorism and parataxis is often an attempt to recuperate on the level of style what is lost on the level of history. By stating the inevitability of fragmentation in a mode that is itself fragmented, one restores the aesthetic unity of manner and substance that may well be what is in question in the historical study of romanticism. ». Ibid.

40 Ibid.



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