Psychanalyse et déconstruction

Isabelle Alfandary, Chantal Delourme, Richard Pedot

 

  1. Dans « La Scène de l’écriture », Jacques Derrida écrivait : « Malgré les apparences, la déconstruction du logocentrisme n’est pas une psychanalyse de la philosophie », ajoutant que les concepts freudiens « appartiennent tous, sans aucune exception, à l’histoire de la métaphysique ». Ces deux citations, dans la symétrie qu’elles proposent, sont une invitation à interroger le lien entre psychanalyse et déconstruction — geste qui est tout sauf évident.

  2. En effet, aucun des deux termes ne va de soi. En premier lieu, pour chacun d’eux, se pose la question même de « soi », à la fois dans sa définition spécifique et dans celle de ses objets. D’autre part, comme les citations de Derrida semblent l’indiquer, le lien est précisément ce qui est doublement mis en cause : intrinsèquement, chaque domaine exposant la question du lien comme question inépuisable ; extrinsèquement, le rapport entre ces deux domaines se caractérisant par des modalités allant du malentendu à l’ignorance ou au déni. Il y va sans doute, pour l’un comme pour l’autre, d’héritages multiples tant dans l’histoire de la philosophie qu’autour de l'œuvre de Freud, et entre les deux — héritages assumés ou non, voire refus d’héritage ou « mal d’archives » qui ne serait pas sans atteindre la déconstruction. On pourrait s’interroger sur les effets institutionnels et institutionnalisants qui tendent à rendre les deux domaines étanches l’un à l’autre alors même qu’ils ne cessent de s’interpeller.

  3. Mais si le lien peut être posé, ne serait-ce que comme question, n’est-ce pas en raison de l’existence de lieux de passage où se joue l’interprétation, tels que le signifiant, la lettre, la littérature, le secret, l’identité, … ? Lieux qui auraient en commun de défier les préjugés métaphysiques.

  4. On aura compris que ce numéro du Tour critique, issu du colloque  organisé à Paris en juin 2013, invite à voyager d’indécidable en interminable, à la manière de l’interprétation selon qu’elle procède de l’un ou l’autre champ critique ou des deux, en un geste de différement renouvelé. Ainsi donc, le « et » du titre ne suppose pas une addition qui finirait en synthèse, ni ne se conçoit comme la possibilité de soustraire un champ à l’autre, ou de l’autre, pour une meilleure définition de chacun des deux termes, impensables séparément.

  5. Les textes ici présentés proviennent à dessein d’horizons variés et portent ainsi la réflexion à la croisée de champs (philosophie, psychanalyse, études littéraires ou cinématographiques) où la question des liens entre psychanalyse et déconstruction surgit immanquablement. En eux-mêmes et dans les échos qu'ils se font l'un à l'autre, ils reflètent et relancent donc un débat dont l’actualité et la richesse apparaîtront au fil de la lecture rien moins que surprenantes.



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