Ethos ou Mythos ? L’histoire implicite du sublime moderne chez Woolf

Edna Rosenthal

Tel Aviv University

  1. Le thème de notre colloque (Virginia Woolf parmi les philosophes) témoigne du statut de Woolf en tant qu’auteur et amène également à s’intéresser à des aspects inexplorés de son œuvre. Un de ces aspects relativement peu explorés consiste à tenter d’appréhender l’esthétique woolfienne1 dans le contexte de l’histoire de la critique et, de façon plus problématique, à l’associer à la tradition critique aristotélicienne. Contrairement à Eliot, dont les travaux critiques ont directement influencé le monde universitaire durant la première moitié du XXe siècle, les essais de Woolf ont surtout été envisagés comme des clés pour comprendre ses préoccupations romanesques : ils étaient littéraires et non critiques. Tenter d’associer les visions esthétiques de Woolf au canon critique semble contre-intuitif, surtout si l’on considère le style délibérément anti-théorique et anti-universitaire de ses essais, et le fait qu’elle se percevait comme une marginale, exclue de la poursuite institutionnelle du savoir.

  2. Les courants changeants de la critique littéraire, ses débats internes et ses théories rivales, présentent une autre difficulté. Comme la définition d’un mouvement littéraire dépend de notre perception de sa relation avec ce qui le précède, ceci implique nécessairement une vision particulière de l’histoire littéraire. En général, le courant moderniste en littérature a été perçu soit en nette rupture, soit en continuation avec le romantisme. Cette division dualiste, qui est née des débats entre les premiers modernistes eux-mêmes, a été davantage consolidée par les générations successives de critiques, qui l’ont intitulée « le débat sur le moderne ». Pour certains, le modernisme est un changement apparu à la fin du xviiie siècle (Northrop Frye ; Harold Bloom), ou au début du xxe siècle (Marjorie Perloff). Pour d’autres, il s’inscrit dans une continuation de la Renaissance (Frank Kermode, Hugh Kenner, Jeffrey Perl). Comme le désaccord autour du modernisme révèle un désaccord plus profond concernant ses origines historiques (c’est-à-dire, concernant notre perception du romantisme et du classicisme), il est possible de situer Woolf au sein du modernisme du début xxe en s’appuyant sur la distinction faite par Sir Frank Kermode (tirée de son essai fondateur, « The Modern » [1965-6]) entre les deux branches du modernisme définies de manière générale : les avant-gardistes portés sur l’Histoire, ou paléo-modernistes (Joyce, Eliot, Pound) qui tendent vers le classicisme, par opposition aux anti-traditionnalistes ou néo-modernistes (William Carlos Williams, Wallace Stevens, Gertrude Stein), qui tendent vers le romantisme2. Au sein de ce schéma, Woolf s’inscrit chez les néo-modernistes. Ses essais témoignent d’une aversion pour les termes et critères de goûts hérités du passé, et elle rejette apparemment le concept paléo-moderniste d’une Tradition unifiée avancé par Eliot, qui présente sans surprise Aristote comme « le critique parfait3 ». Là où Eliot recherche, découvre et affirme des éléments de continuité avec le passé, Woolf rencontre de nombreux obstacles : historiques, nationaux, linguistiques, et des différences liées à sa condition de femme qui lui semblent insurmontables.

  3. Pour montrer que certains de ces obstacles n’étaient pas aussi insurmontables que Woolf le dépeint, je propose un contexte « nouveau / ancien » pour démontrer que l’esthétique woolfienne converge vers le principe aristotélicien d’affectivisme formel. Mais puisque Woolf ne fait que très rarement référence à l’histoire de la critique dans ses essais ou, d’ailleurs, la Poétique d’Aristote, reconstruire son esthétique nécessite d’effectuer un patient détour. Afin d’établir une certaine forme de continuité entre leurs esthétiques, ce détour s’engage dans une brève discussion de trois théories affectivistes : Traité du sublime de Longin (ier siècle ?), Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau d’Edmund Burke (1757), et Poétique d’Aristote (323 av. J.-C.). Malgré la différence marquée entre leur contexte historique et leur méthodologie, Longin, Burke et Aristote abordent l’art en s’intéressant aux effets émotionnels et psychologiques que celui-ci provoque. Et la réponse de Woolf à la question « Quelle est la fin de l’art ? », ou plutôt « Quelle est mon impression du livre que je viens juste de finir de lire ? Et est-ce que je peux la justifier ? », est sans conteste tout aussi affectiviste. Le terme de « sublime moderne » est utilisé ici pour faire référence à la version woolfienne de l’affectivisme formel et révéler ses affinités avec les traditions classique et romantique. Mais les fondements classiques de sa conception du roman moderne vont plus loin. Le « sublime moderne » de Woolf transcende l’opposition héritée (mais certainement problématique) entre esthétique classique, ou aristotélicienne, et esthétique romantique, ou longinienne. Woolf combine ces deux traditions, ce qui implique un changement théorique intéressant dans lequel l’éthos, la révélation du personnage, remplace le mythos (intrigue) d’Aristote. C’est ce changement discursif (compris comme l’adaptation tacite réalisée par Woolf de la Poétique au roman moderniste) qui permet à Woolf d’assurer sa place légitime dans l’histoire de la critique littéraire au « plus jeune et vigoureux des arts ».

 

  1. Woolf présente ses positions sur l’art (l’art de la fiction) comme une lutte avec plusieurs histoires et conventions qui se chevauchent. Elle considère le canon littéraire avec un dédain presque méprisant. Mais son attitude défiante semble être en partie déclenchée par le fait qu’elle est consciente que le roman, en tant que genre nouveau, est dépourvu d’une tradition critique. En 1925, elle expose franchement le problème, dans « On not Knowing Greek » :

Car il est vain et ridicule de dire que l’on connaît le grec [car] entre ce peuple étranger et nous-mêmes existe non seulement une différence de race et de langue, mais également une immense rupture de tradition4.

  1. Cette affirmation audacieuse (qu’« une immense rupture de tradition » sépare les anciens des modernes) n’implique pas nécessairement qu’elle est à jamais insurmontable, car Woolf admet immédiatement que « le grec est la littérature impersonnelle ; c’est également la littérature des chefs-d’œuvre ». La poésie grecque (et, vraisemblablement, sa défense théorique) est établie comme le modèle original.

  2. Il est possible d’appuyer que le différend qui oppose Woolf au passé est plus ambivalent que ce qu’on admet généralement en juxtaposant son image du grec idéal avec celle du génie et du chef-d’œuvre modernes, en se basant sur son essai « Robinson Crusoe » (1919) :

Mais le grand auteur […] continue de suivre son chemin […] à la sueur de son front il fait ressortir l’ordre du chaos ; […] Dans les chefs-d'œuvre[…] où la vision est claire et l’ordre a été obtenu — il nous inflige sa propre perspective de façon si sévère que bien souvent nous souffrons le martyre […]. Et pourtant, un plaisir rare et durable naît parfois de la colère, la peur et l’ennui. (1.71)

  1. Quelle est cette émotion esthétique qu’elle a en tête, ce « plaisir rare et durable », et comment propose-t-elle de la provoquer chez ses lecteurs, et de la justifier auprès d’eux ?

  2. Il est difficile de répondre à ces questions esthétiques fondamentales sans admettre d’abord que le roman occupe un vide critique : « Aucun critique vivant de nos jours », regrette-t-elle en 1927 dans « The Art of Fiction », « ne dira qu’un roman est une œuvre d’art et qu’il le jugera donc sur cette base » (2.55). Ce dont on a besoin, c’est de quelqu’un qui sauvera « la pauvre femme qui… est encore et toujours la façon dont nous nommons l’art de la fiction » (2.55) ; quelqu’un qui

l’agrippe fermement et la définit sévèrement. Aucune règle n’a été élaborée pour elle, on a peu réfléchi en son nom. Et, même si les règles peuvent être dans le faux et doivent être transgressées, elles ont cet avantage : elles confèrent dignité et ordre à leur sujet ; elles l’admettent au sein de la société civilisée ; elles prouvent qu’elle est digne de considération. (2.52)

  1. Pour devenir « digne de considération », « ce cannibale » (comme elle appelle le roman dans « The Narrow Bridge of Art » [1927] [2.224]) doit tout d’abord assurer les fonctions précédemment attribuées au théâtre, car le théâtre, comme Woolf l’explique dans un autre essai, était « la forme ancienne au sein de laquelle la poésie avait traité de la vie » (« Aurora Leigh » [1931], 1.215). Woolf met clairement le « plus jeune des arts » au même rang que le théâtre et la poésie passés, desquels elle tire également ses principes. Le roman, dit-elle dans « The Narrow Bridge of Art », devra être renommé, repensé :

Il sera écrit en prose, mais dans une prose qui possède de nombreuses caractéristiques de la poésie. Il aura quelque chose de l’exaltation poétique, tout en ayant la banalité de la prose. Il sera dramatique, mais sans être une pièce de théâtre. Il sera lu, et non joué. (2.224)5

  1. Dans le nouveau code littéraire de Woolf, le roman fusionnera le théâtre classique avec la poésie romantique. Et il remplacera le théâtre en imitant ses effets :

Nous avons le droit de demander (puisque les Grecs ont prouvé que c’était parfaitement possible) que l’action ait obligatoirement une fin en vue. Elle devrait remuer de grandes émotions ; faire naître des scènes mémorables. (« Notes on an Elizabethan Play », 1.56)

  1. Mais l’expérience de la lecture d’un roman peut-elle avoir le même impact que le fait d’assister à une représentation (disons, une tragédie) au théâtre ? Peut-elle, comme Woolf le dit dans « The Narrow Bridge of Art », « faire couler le sang de [ses] lecteurs ? » (2.228). Son besoin de défendre le roman en lui offrant une tradition littéraire qui lui fait défaut implique un changement d’emphase crucial : vu que « le théâtre a formé l’habitude nationale de lecture », comme elle le note dans « On Re-reading Novels » (1922 ; 2.122), Woolf prend le lieu d’affect esthétique du théâtre et le transpose à l’acte de la lecture, et elle le fait sans briser la continuité entre les deux.

  2. Des signes de ce changement sont perceptibles dans ses premières réponses aux livres ; elle se réjouit de leur sensualité, « l’humeur dans laquelle on a accompli cette orgie de lecture » et la façon dont, parfois, elle a ressenti une « exaltation et une excitation extraordinaires » (« Hours in a Library » [1916] 2.35, 36). « Agonie », « orgie », « excitation » et « exaltation » (ce qu’elle décrit autre part comme « une chaleur délicieuse et une libération de l’esprit » (« George Eliot » [1919] 1.200) appartiennent dans l’histoire de la critique au concept du sublime, nous renvoyant à Longin et Burke et, au-delà, à la ressemblance familiale entre l’esthétique chez Woolf et l’effet tragique chez Aristote. Car bien que Woolf ne mentionne pas Aristote directement, il est utile de rappeler que dans la Poétique, il n’a jamais insisté sur le fait qu’une pièce devait être jouée pour pouvoir produire son effet :

Le Spectacle possède, en effet, un attrait émotionnel qui lui est propre, mais, de toutes ses parties, c’est le moins artistique, et le moins relié à l’art de la poésie. Car le pouvoir de la Tragédie, soyons-en sûrs, est ressenti même lorsqu’elle est détachée de la représentation et des acteurs6.

  1. Le pouvoir du théâtre provient de ce qu’Aristote appelle « l’art de la poésie », de la dynamique qui structure la technique lorsqu’elle engendre à la fois les personnages et les évènements, et réalise, à travers la logique interne de leurs dépendances, sa cause finale.

  2. Démontrer qu’il ne s’agit pas là d’un simple lien secondaire exige que nous marquions une pause afin de considérer deux théories affectivistes « préromantiques » : le sublime classique de Longin et le sublime psychologique de Burke. Cette décision peut paraître injustifiée, sauf si l’on se rappelle qu’au cours des xviiie et xixe siècles, le concept du sublime est devenu si fermement associé au romantisme qu’il a totalement effacé la continuité entre la notion de catharsis d’Aristote et les théories affectivistes de Longin et Burke7.

  3. Dans son Traité du sublime (ier siècle ?)8, Longin s’éloigne de l’affectivisme formel d’Aristote (le but de la tragédie est de provoquer une catharsis de la pitié et de la peur) au profit d’une discussion du style. Ce changement soumet la codification de la rhétorique romaine à l’intensité émotionnelle et établit que la plus haute fonction de l’éloquence n’est pas d’enseigner ou de ravir, mais de transporter le public : « Si vous retirez le sublime, vous retirez l’âme du corps » (474).

  4. En détournant des règles la discussion de la rhétorique au profit de l’inattendu et de ce qui n’est pas réglementé, Longin attire l’attention sur le rôle premier de l’émotion dans la production du langage et de la pensée, remplaçant pour ainsi dire « la noble action » d’Aristote par « la noble émotion » :

Car la majesté entraîne l’extase chez l’auditeur au lieu de le persuader ; et la combinaison d’émerveillement et de surprise s’avère toujours supérieure à ce qui cherche seulement à persuader et à plaire. (462)

  1. Aucun contraste ne pourrait être plus grand que le sublime longinien violent et rebelle qui « détruit tout telle une tornade » (462), et la douceur et la lumière horatiennes (Ars Poetica, 1 av. J.-C.). Et c’est bien ce contraste qui guide le traité de Burke sur la distinction catégorique et hiérarchique entre le sublime et le beau.

  2. Sa Recherche philosophique apparaît comme une synthèse parfaite du sublime de Longin en tant que produit du génie, et l’esthétique affectiviste d’Aristote. Burke se détourne de l’effet des mots, ou de la rhétorique du sublime, pour se concentrer sur l’affect psychologique sous-jacent. Comme Aristote dans La Rhétorique et L'Éthique à Nicomaque, le sublime psychologique de Burke est fondé sur l’importance d’étudier « les raisons de nos passions… Il ne suffit pas de les connaître de façon générale ; …. nous devrions les explorer dans toutes leurs manifestations, et percer … les parties les plus enfouies et inaccessibles de notre nature9 ».

  3. Dans la vie comme dans l’art, les émotions associées à l’autopréservation (la douleur, le danger et, surtout, la mort – toutes des idées qui « remplissent l’esprit de fortes émotions d’horreur » [36]) sont plus fortes catégoriquement parlant que celles associées à la société et à la production du plaisir. Burke définit ensuite le sublime comme « une idée qui appartient à l’autopréservation…. son émotion la plus intense est une émotion liée à la détresse » (79). En limitant le sublime longinien aux états de souffrance existentielle, Burke se réapproprie une version de la psychologie aristotélicienne qui ébranle l’interprétation néoclassique de la Poétique et redonne au mode du tragique sa place en haut de la hiérarchie littéraire. Car, comme le dit Burke, nous nous délectons d’être spectateurs de ce que nous chercherions à tout prix à éviter dans la vraie vie (44). La tragédie, sous-entend-il, n’offre aucune consolation ; elle reproduit la conscience de la mort, nous met face à la souffrance humaine extrême.

  4. Même si Longin et Burke soulignent tous deux le potentiel affectif du langage et le considèrent comme la technique artistique la plus puissante10, leur conception du sublime suppose des sens divergents. Le sublime de Longin est une élévation vers le surhumain et le surnaturel, une quête de l’inhabituel ; le sublime de Burke est une descente vers les replis cachés de l’esprit.

  5. Ainsi, pour Burke, la poésie « ne peut pas, strictement parlant, être appelée un art de l’imitation » car son « but est de toucher en ayant plutôt recours à la compassion et non à l’imitation » (157). Les mots peuvent souvent nous toucher sans produire d’image pour autant : une expression claire décrit « une chose telle qu’elle est » ; une expression forte la présente « comme elle est ressentie » (160) ; selon la célèbre formule de Burke, « une idée claire est… l’autre nom que l’on donne à une petite idée » (58) – petite précisément parce qu’elle manque de pouvoir affectif. Et il attribue l’affectivité non mimétique des mots à l’imagination, « la représentante des sens » et la seule qui transmette les passions. Les grandes pensées et les grandes émotions ne sont plus des fonctions ou expressions du sublime que l’on peut séparer, comme elles l’étaient pour Longin, mais elles proviennent d’une seule et unique source : l’imagination.

  6. Selon Ernst Cassirer dans La Philosophie des Lumières, la Recherche de Burke a eu un impact capital sur l’esthétique :

Non seulement la forme (dans le sens classique), mais également la distorsion, ont une valeur esthétique et une place légitime dans l’esthétique. […] Le sublime défit la demande esthétique de proportionnalité ; car la transcendance de toute proportionnalité simple constitue sa véritable qualité. […] Le sublime fait disparaître les limites du fini11.

  1. Il n’est pas nécessaire de s’éterniser ici sur le fait que les premiers romantiques ont adopté le concept d’infinité de l’imagination et qu’il est vite devenu une nouvelle métaphysique dans laquelle le sublime n’est pas du tout exceptionnel, comme il l’était pour Burke et Longin, mais s’est transformé en sujet normatif de la poésie, l’Être Infini (« the Infinite I Am »).

 

  1. En gardant ces grandes lignes à l’esprit, revenons à la version woolfienne de l’affectivisme formel, à son sublime moderne. Dans « Phases of Fiction » (1929), la façon dont elle décrit l’impression produite par les grandes œuvres de la littérature rappelle non seulement le sublime de Longin et de Burke, mais aussi la catharsis d’Aristote : « Les romans qui font vivre notre imagination, engageant tout notre corps et notre esprit, produisent en nous les sensations physiques de chaleur et de froid, de bruit et de silence » ; ils produisent « une émotion qui est à la fois distincte et unique » (2.71).

  2. Mais si Woolf est d’une certaine façon aristotélicienne, pourquoi rend-elle l’effet émotionnel du roman dépendant de la capacité de l’auteur à révéler le personnage, et pourquoi utilise-t-elle le mot « intrigue » – « l’âme de la tragédie » – seulement de façon péjorative ? Aurait-on affaire ici à un changement discursif où le « personnage » remplace d’une certaine manière l’« intrigue » ?

  3. Son rejet de l’intrigue est fondé sur des raisons historique et esthétique. Tout au long de sa version de l’histoire littéraire, elle n’accorde aucun rôle positif à l’intrigue au sein du théâtre, tout en promouvant le personnage au rang de principe esthétique central. Commençant par la tragédie grecque, Woolf affirme qu’« il est impossible d’oublier l’intrigue d’Antigone, car ce qui arrive est si intrinsèquement lié aux émotions des acteurs que nous nous souvenons à la fois des personnes et de l’intrigue » (« Notes on an Elizabethan Play », 1.56).

  4. En ce qui concerne le théâtre élisabéthain, elle attaque férocement l’intrigue et la place en ennemie du personnage : « Les incessantes, improbables…. circonvolutions qui gratifient soi-disant l’esprit d’un public excitable et illettré qui se trouve réellement dans le théâtre, mais ne font qu’embrouiller et fatiguer un lecteur qui tient un livre entre les mains ». Contrairement à la tragédie grecque, le théâtre élisabéthain (à l’exception de Shakespeare et Ben Jonson), n’établit aucun lien nécessaire entre « l’histoire » et « les émotions qu’elle génère », ce qui amène Woolf à conclure que le théâtre élisabéthain n’a « aucun personnage/caractère ». Alors que l’intrigue revêt une importance capitale, « les acteurs eux-mêmes se retrouvent effacés et des émotions qui… méritent d’être explorées avec le plus grand soin, la plus délicate des analyses, se retrouvent balayées d’un revers de main » (1.56-57).

  5. Son attaque dirigée contre « l’intrigue » atteint un autre niveau lorsqu’elle se penche sur le théâtre néo-classique, dans ses commentaires sur William Congreve, par exemple :

Qui peut se rappeler de l’intrigue une fois le livre refermé ? […] une intrigue devrait mettre les personnages sur le chevalet et les montrer ainsi étirés. Mais que sommes-nous supposés dire lorsque l’intrigue ne fait que titiller et déformer les personnages ? (« Congreve’s Comedies » [1937], 1.77)

  1. Et le renversement final de l’intrigue arrive sans surprise avec la critique romantique, où Woolf adopte l’opinion de Coleridge sur Shakespeare, qu’il considère comme le plus grand poète romantique qui ne fait pas appel aux sens (les actions physiques sur scène) mais à l’imagination, à ce qu’il appelle « la raison qui contemple notre nature intérieure12 ». Dans son essai intitulé « The Cinema » (1926), Woolf élève de la même façon la poésie du théâtre au-dessus de ses effets visuels ou performatifs :

Comme chacun le sait, dans l’œuvre de Shakespeare les idées les plus complexes forment des chaînes d’images que nous montons, empruntant des changements et des tournants, jusqu’à atteindre la lumière du jour. Mais, bien évidemment, les images d’un poète ne doivent pas être gravées dans le bronze ou tracées par un crayon. Elles sont rendues compactes par un millier de suggestions dont l’aspect visuel n’est que la plus évidente.  (2.271)

  1. Cependant, Woolf prend aussi Shakespeare pour modèle quand il s’agit de créer des personnages. Les romanciers, écrit-elle dans « Sir Walter Scott » (1940), devraient « délivrer de vraies pensées et de vraies émotions, à l’aide de vrais mots prononcés par des bouches animées » ; ils devraient « exercer le grand art shakespearien qui consiste à faire se révéler les personnes à travers leurs paroles » (1.138, 143).

  2. Woolf met l’accent sur le personnage (« character ») dans ses essais et il semble que le terme dépasse le sens établi du mot : Woolf semble assimiler le personnage à l’ensemble ou la forme esthétique du roman, l’impression précise qu’il laisse dans l’esprit du lecteur. Mais, comme elle le souligne dans « Phases of Fiction », les impressions esthétiques ne sont pas l’objet du hasard : « personne ne lit simplement par hasard ou sans une échelle définie de valeurs » (2.56).

  3. L’« échelle définie de valeurs » chez Woolf dépend ainsi de la caractérisation. En tant que lectrice, son intérêt et son plaisir dépendent du « traitement des personnes » dans les romans (2.66). Dans le même essai, elle utilise le « personnage » comme critère permettant de distinguer six groupes semi-chronologiques qui parcourent l’histoire du roman ; parmi ces groupes elle célèbre plus particulièrement « les Psychologues » (James, Proust, Dostoevsky), « les Poètes » (Bronte, Meredith, Hardy, Melville, Tolstoy) et les précurseurs du roman moderne, Jane Austen et Laurence Sterne.

  4. Alors que la fiction romantique, appartenant à la branche gothique, fait preuve de la plus grande des fautes car il y a « absence de consommation finale.…Nous nous souvenons des détails, mais pas de l’ensemble » (2.68), dans les romans d’Austen « l’emphase est mise systématiquement sur le personnage » (« Jane Austen » [1925], 1.148). Lorsqu’elle spécule sur l’évolution possible du style d’Austen, Woolf décrit son propre style idéal, dans lequel la caractérisation combine l’impersonnalité classique et la sensibilité romantique :

[Austen] aurait conçu une méthode, claire et calme comme jamais, mais plus profonde et suggestive, afin d’exprimer non seulement ce que disent les gens, mais également leurs non-dits ; non seulement ce qu’ils sont, mais également ce qu’est la vie. Elle se serait tenue encore plus à distance de ses personnages, et elle les aurait perçu plus comme un groupe, et moins comme des individus. (1.153)

  1. Woolf affirme ici que pour le romancier moderne, l’intrigue et le personnage (en tant que catégories de pensée) ainsi que la vérité, la beauté et ce qui est bon, ne peuvent être des notions simplement héritées. Le romancier doit les redécouvrir, les repenser et les redéfinir, comme elle le fait elle-même. Et c’est ainsi car, comme elle le dit dans « Modern Fiction » (1919), il n’y a pas de « “bonne façon” de faire de la fiction [ou de l’art] » :

Si un auteur était un homme libre et non un esclave, s’il pouvait écrire ce qu’il choisit d’écrire et non ce qu’il doit écrire. […] il n’y aurait ni intrigue, ni comédie, ni tragédie. […] La vie n’est pas une série de lanternes d’attelage arrangées de façon symétrique ; la vie est un halo lumineux, une enveloppe à demi transparente qui nous entoure depuis les débuts de la conscience jusqu’à la toute fin. (2.106)

  1. Le fait que Woolf rejette l’intrigue en tant que séquence d’évènements externes relève ainsi moins d’un geste anti-aristotélicien (pour Aristote, l’intrigue et le personnage, la pensée et la diction, dépendent de l’accomplissement de la probabilité esthétique), et plus de la conséquence de son rejet de toute fiction qui remplace « l’ordre rythmique » par « l’énumération de détails ». Elle considère le « personnage » comme l’âme du roman et déplace ainsi une conception réduite de « l’intrigue » ; elle ajuste également de façon implicite l’affectivisme formel d’Aristote au roman en tant qu’œuvre d’art13.

  2. Enfin, c’est le moderne en tant que changement de paradigme que Woolf affirme dans « Mr. Bennet and Mrs. Brown » (1924) lorsqu’elle fait cette remarque bien connue : « en décembre 1910, ou autour de cette date, le caractère humain a changé ». Et elle explique pourquoi un changement de l’humain est une réévaluation de tout : « Toutes nos relations humaines ont évolué. […] Et lorsque les relations humaines changent, un changement se produit également dans la religion, les mœurs, la politique et la littérature » (1.320, 321).

  3. Le terme de personnage (« character »), par conséquent, n’est pas un terme simple dans l’esthétique woolfienne, mais un terme qui exprime le caractère unique du style d’un auteur, englobant l’unité d’une œuvre de prose imaginative. Dans le même essai, son utilisation des termes personnage et art (tous deux reliés entre eux) est plus ou moins formulée comme une question : « Pensez au peu de choses que l’on sait sur le personnage—pensez au peu de choses que l’on sait sur l’art » (1.320). Ce qui l’intéresse, ce sont les perspectives du roman, et non le fait de résumer son état actuel. Dans « The Narrow Bridge of Art », elle déclare : « La  prose porte à présent sur ses épaules tout le sale boulot » (2.223).

  4. Il semble alors que Woolf s’éloigne d’un parti-pris anticlassique ostensible pour se rapprocher de la position d’Eliot. Ce changement est tout spécialement apparent lorsqu’elle traduit l’article « La Tradition » d’Eliot, « l’esprit de l’Europe », en mots d’encouragement amicaux à un jeune poète et, par extension, à la nouvelle génération de jeunes auteurs, leur rappelant qu’ils ne sont pas seuls ou « singuliers », mais « un personnage immensément ancien, complexe et continu14 ». Avec un tact indubitable (expansif, qui ne cherche pas à exclure et qui établit des passerelles entre des disjonctions, des langues, des histoires), Woolf fait tomber tout l’édifice de la tradition occidentale et la ramène à ses dimensions humaines véritables.

 

  1. L’argument selon lequel la substitution woolfienne de l’èthos pour le mythos se réapproprie le mode tragique aristotélicien, en théorie et en pratique, ne peut être abordé que brièvement ici, car cela implique une étude attentive des techniques affectivistes qu’elle utilise pour créer ses personnages de fiction, pour exprimer leurs états d’esprit changeants, leurs pensées, leurs émotions et leurs actions. Néanmoins, si nous prenons Mrs. Dalloway comme notre exemple type et examinons ses techniques affectivistes à la lumière de la théorie psychologique de Burke, nous constatons que Woolf subvertit ses concepts philosophiques du sublime et du beau selon lesquels l’existentiel s’oppose d’un point de vue catégorique et hiérarchique au social, comme la mort à la vie et la folie à la santé mentale. D’après Burke, « le danger, la sanction et les ennuis » et « la solitude perpétuelle » relèvent de l’existentiel ; dans le social, on retrouve le « soulagement, la satisfaction et les petits plaisirs » et la société en général. Clarissa Dalloway remplit les critères de Burke correspondant au beau, tout comme Peter Walsh et Septimus Warren Smith remplissent ses conditions relevant du sublime. Les fleurs apparaissent dès la première phrase du roman telles le leitmotiv de l’existentiel de Burke. Si Woolf maintient ce motif tout au long du roman, à la fois dans les scènes solitaires et publiques, sa description de Clarissa, Peter et Septimus et les conflits de fond qu’ils rencontrent mettent à mal l’opposition hiérarchiquement genrée de Burke entre le social et l’existentiel (tout en la conservant en surface) et révèlent l’action tragique à un niveau plus profond du récit.

  2. Dans les « sombres endroits de la psychologie » des personnages, que Woolf explore dans le roman, la théorie brillamment défendue par Burke s’écroule ; en excluant le danger, la douleur et la terreur du champ des relations sociales, sa théorie nie la dimension existentielle de l’amour, des relations humaines. Burke soustrait le désir (« la passion qui appartient à la création », 39) à la considération de la misère humaine et du bonheur. Comme il l’explique : « Les hommes sont sans cesse tout aussi disposés aux plaisirs de l’amour, car ils doivent être guidés par la raison au moment où ils vont se les accorder, et dans la manière dont ils vont le faire. Si une quelconque douleur intense devait naître de cette volonté de satisfaction, la raison, j’en ai bien peur, rencontrerait de grandes difficultés au moment d’exercer son rôle » (38). Mais il semble que la Raison rencontre bel et bien « de grandes difficultés au moment d’exercer son rôle » lorsqu’elle est séparée du désir, comme le démontre clairement Mrs Dalloway, où la folie et le suicide de Septimus servent de mise en scène pour le roman.

  3. C’est précisément ce que Burke écarte (la perte de l’amour) que Clarissa, Peter et Septimus (et ils ne sont pas les seuls) expérimentent avec douleur et horreur. La perte de cet état passionné constitue la substance de leur lutte solitaire ; c’est également la substance du lien grandissant qui les rapproche tout en passant en surface dans l’intrigue pour quelque chose de simplement impromptu. En reliant dramatiquement les histoires d’amour insatisfait de Clarissa et Peter avec la folie et le suicide de Septimus, Woolf démontre que la perte de l’amour engendre une douleur véritable, aux conséquences existentielles et non pas simplement sociales. Elle rassemble qui plus est ces trois histoires à l’aide d’un des événements sociaux, qui s’avère probablement être le plus typique chez Burke et le bénin de tous : la réception organisée par Clarissa.

  4. Durant cette réception, Clarissa apprend soudain la mort d’un jeune homme. « Oh ! pensa Clarissa, au milieu de ma réception, voilà la mort qui arrive15 ». Elle abandonne ses invités et, seule dans une petite pièce, elle réagit au suicide du jeune homme en répétant dix fois le mot « mort ». Clarissa plonge dans sa douleur, « sa robe s’enflamma, son corps brûlait », et pourtant elle ressort lentement de sa méditation, régénérée, comme guérie :

Il y avait une chose qui comptait ; une chose, auréolée de bavardage, défigurée, obscurcie dans sa propre vie, abandonnée chaque jour à la corruption, aux mensonges, au bavardage. Ceci, il l’avait préservé. La mort était un acte de défi. La mort est une tentative de communication. […] Il y avait une étreinte dans la mort. (202)

  1. La réaction choquée initiale de Clarissa face à la mort d’un étranger produit un changement dans son état de « personnage », elle a l’impression que « d’une certaine façon, il s’agit de son désastre – sa disgrâce » (203). Mais en prenant à cœur la mort de Septimus, en l’expérimentant religieusement elle-même, l’intrusion de ce dernier dans son monde la libère de son propre « autre » caché : cette « chose, chose, auréolée de bavardage, défigurée, obscurcie dans sa propre vie ». Le choc qu’elle ressent laisse place à un sentiment opposé, une sensation exaltée de bien-être : « Étrange, incroyable ; elle n’avait jamais été aussi heureuse ». Comment interpréter cette transformation soudaine ? Pourquoi est-elle « aussi heureuse » ? Elle se rappelle le jour où elle avait « marché sur la terrasse à Bourton » et vu la lune se lever dans le ciel nocturne. Était-ce alors qu’elle était « aussi heureuse » ? Ou est-ce maintenant, en pensant au « jeune homme » qui s’est tué ? Les deux événements fusionnent. Au dernier son de cloche de Big Ben, alors que Clarissa se détourne du ciel nocturne et cesse de le contempler, elle peut retourner retrouver ses invités, retrouver Peter et Sally, et sauver ce qui est resté enfoui dans sa mémoire tout au long de la journée, leur lien d’amour et d’amitié. Ce moment transformatif imperceptible est riche d’échos philosophiques. Dans la conclusion de son Tractatus, Wittgenstein écrit : « Il est clair que l’on ne peut exprimer l’éthique. L’éthique est transcendantale. (Éthique et esthétique ne font qu’un)16 ». Ce moment constitue peut-être un aperçu du « halo lumineux » : Clarissa qui accueille l’étranger et ceux dont elle s’est éloignée progressivement, ce qui inclut son propre passé enfoui, en les enveloppant dans ses pensées et émotions les plus profondes. Tout comme sa réception rassemble les gens et les événements de la journée tout entière, sa réaction empathique à la mort de Septimus affirme que ce qui constitue l’humain, c’est la capacité d’aimer, dans toutes ses formes. Ceci fait donc partie intégrante de ce que nous appelons société. L’insinuation plus radicale de cette interprétation est que pour Woolf, la dimension non sociale de l’existence humaine n’existe pas, contrairement à ce qu’avance le système de Burke.

  2. Les moments de Clarissa durant la journée associent sa récente maladie, son présent désarroi, son mariage sans sexe et l’impression qu’elle est en train de perdre sa fille, à leur cause : sa peur de la mort, qui est illustrée dans le roman par sa peur de la passion et du temps. La série croissante de moments de vision apparemment sans rapport – qui tournent autour du besoin irrationnel de retrouver (confronter, accepter, dépasser) un amour perdu – lie entre eux les trois personnages principaux dans les scènes finales où Clarissa et Peter se laissent aller à la terreur et l’extase qui suivent la reconnaissance, en eux-mêmes et l’un chez l’autre, de l’amour perdu comme la cause de leur souffrance. La dernière scène rassemble dans un moment de pur pathos la journée tout entière et, il semblerait, leur vie tout entière. Leur dernier échange silencieux résout de façon momentanée l’opposition entre les ordres de leurs mois séparés qui ne peuvent être mariés et, en concluant le roman, marque leur échange du sceau de la finalité et de la permanence.

  3. Nous devrions peut-être noter également que d’un point de vue aristotélicien, les différentes étapes de la réaction de Clarisse face à la mort de cet étranger forment une interprétation romanesque de la réaction cathartique face à la tragédie. Burke énonce ce qui est seulement esquissé dans la Poetics d’Aristote : « Lorsque le danger ou la douleur se font trop présents, ils sont incapables d’apporter un quelconque plaisir, et sont tout simplement terribles ; mais à une certaine distance, et avec certaines modifications, ils peuvent être, et ils le sont, agréables, comme nous en faisons l’expérience tous les jours » (36-7).

  4. Pour Woolf, la fiction, en recréant la vie et exposant le caractère humain, révèle ce que la philosophie obscurcit en organisant nos visions du monde. Le but de l’artiste est de mettre en avant, « d’attiser et d’éclairer » l’extraordinaire, qui est toujours latent dans l’esprit ordinaire, un jour ordinaire ; le but du philosophe empirique est de soumettre l’irrationnel, ce qui est caché et ce qui est inconnu, à l’investigation rationnelle. L’ancienne querelle poétique et philosophique nourrit indirectement le roman de Woolf, ses outils, sa structure et sa conclusion. Plus précisément, elle renforce sa conviction sur l’inséparabilité de la forme et du contenu, de « l’art » et du « personnage ». En ce qui concerne notre présente étude, la vision tragique qui conclut Mrs. Dalloway est importante car elle découle de la décision woolfienne d’unir les deux ordres (le sublime et l’effet tragique, romantisme et classicisme) en un unique ordre esthétique moderniste, digne d’être considéré.

  5. Tenter d’envisager l’esthétique woolfienne dans un contexte préromantique plus large met en lumière un aspect relativement délaissé de ce qu’elle a accompli en tant que critique-romancière. Cela nous permet de voir qu’en défendant la fiction, elle assimile en tout et pour tout l’acte de lecture d’un grand roman, seul dans son salon, à celui d’assister à la représentation d’une tragédie dans un amphithéâtre en plein air dans l’Athènes antique. Son sublime moderne, où la révélation du personnage exprime l’affect esthétique, mélange sensibilité romantique, rhétorique de Longin et psychologie de l’inconscient de Burke, avec l’impersonnalité classique et l’emphase aristotélicienne sur la forme théâtrale. En supportant l’« agonie » tout autant que les « bonheurs rares et durables » d’une vie consacrée à l’effort créatif, dans la pensée, dans la lecture et dans l’écriture, Woolf a discrètement ajusté les critères esthétiques, plus spécialement les critères aristotéliciens (même s’ils ne sont jamais cités explicitement), au roman moderne afin que la « pauvre femme » devienne (et elle l’est vraiment devenue dans les romans de Woolf) « l’art de la fiction ».

 

Article traduit par Audrey Coussy

Bibliographie

  • Butcher, S. H. Aristotle’s Theory of Poetry and Fine Art. 1911. New York : Dover, 1951.

  • Burke, Edmund. A Philosophical Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and Beautiful. Éd. Adam Phillips. Oxford : Oxford University Press, 1990 [1759]

  • Cassirer, Ernst. « Fundamental Problems of Aesthetics ». The Philosophy of the Enlightenment. Trad. Fritz C. A. Koelln et James P. Pettegrove. Boston, MA : Beacon Paperback, 1955.

  • Coleridge, Samuel Taylor. « Classical and Romantic Drama ».  Shakespearean Criticism. Éd. Thomas Middleton Raysor. Londres : Everyman’s Library, 1960.

  • Eliot, Thomas Stern. « The Perfect Critic ». The Sacred Wood: Essays on Poetry and Criticism. Londres : Methuen, 1920.

  • Kermode, Frank. « The Modern ». Modern Essays. Londres : Fontana, 1971.

  • Rosenthal, Edna. Aristotle and Modernism: Aesthetic Affinities of T. S. Eliot, Wallace Stevens, and Virginia Woolf. Brighton, UK : Sussex Academic Press, 2008.

  • Russell, Donald Andrew et Michael Winterbottom, éd. Ancient Literary Criticism: The Principal Texts in New Translations. Oxford : Oxford University Press, 1972.

  • Wimsatt, William K. Jr et Cleanth Brooks, éd. Literary Criticism: A Short History. New York : Knopf, 1957.

  • Wittgenstein, Ludwig. Tractatus Logico-Philosophicus. 1922. Londres : Routledge & Kegan Paul, 1958.

  • Woolf, Virginia. « Modern Fiction ». Collected Essays: 2. Londres : Hogarth Press, 1966.

  • Woolf, Virginia. Mrs. Dalloway. 1925. Harmondsworth : Penguin, 1996.

  • Woolf, Virginia. « On Not Knowing Greek ». Collected Essays: 1. Éd. Leonard Woolf. Londres : Chatto & Windus, 1975.

1 Pour une analyse plus détaillée de l’esthétique woolfienne, consulter notre essai sur lequel se base cet article : Aristotle and Modernism : Aesthetic Affinities of T. S. Eliot, Wallace Stevens, and Virginia Woolf.

2 F. Kermode, « The Modern », 46.

3 « Il faut faire preuve d’une méfiance ferme lorsqu’il s’agit d’accepter Aristote de façon canonique ; ce serait perdre toute sa force vive. Il était essentiellement un homme d’une intelligence non seulement remarquable, mais également universelle. […] peu importe le sujet, il considérait uniquement l’objet ; dans son traité court et inachevé, il propose un exemple éternel – non pas celui des lois […] mais celui de l’intelligence elle-même, qui fait rapidement fonctionner l’analyse des sensations pour atteindre le principe et la définition. » (T. S. Eliot, « The Perfect Critic », 10). Toutes les citations tirées d’œuvres rédigées en anglais ont été traduites par nos soins [NdT].

4 V. Woolf, « On Not Knowing Greek », 1.

5 Afin de sauver la fiction, il est évident que la « pauvre femme » doit d’abord être soumise à un rite de passage : « la briser et la malmener, ainsi que l’honorer et l’aimer, car ainsi sa jeunesse est renouvelée et sa souveraineté assurée » (« Modern Fiction », Collected Essays, vol. 2 [Londres : Hogarth Press, 1966], 110). L’approche non esthétique doit être remplacée par une approche esthétique (prendre la fiction « au sérieux » comme ils le font en France et en Russie [« The Art of Fiction », 2.55]). Le romancier qui ose sortir des conventions pourrait découvrir que « l’histoire pourrait chanceler ; l’intrigue se défaire ; la ruine s’emparer des personnages. Le roman, en un mot, pourrait devenir une œuvre d’art » (2.55). Pour les gens de l’époque géorgienne, les édouardiens étaient tout sauf des modèles à suivre : leurs « conventions ne sont que ruine », déclare-t-elle, « ces outils ne sont que mort » (« Mr. Bennet and Mrs. Brown », 1.330). Ce dont on a besoin, c’est d’un nouveau « code d’usages que les auteurs et les lecteurs acceptent comme un prélude menant à une relation d’amitié plus excitante » (1.334).

6 S. H. Butcher, Aristotle’s Theory of Poetry and Fine Art, 6.1450b. Aristote souligne à nouveau ce point en rapport avec les émotions tragiques de pitié et de peur : « L’intrigue devrait être construite de telle sorte que, même s’il ne voit pas, celui qui entend l’histoire racontée frissonnera d’horreur face à et sympathisera avec ce qui se passe. C’est l’impression que nous devrions avoir en écoutant l’histoire d’Œdipe » (14.1453b). C’est encore le cas lorsqu’il compare l’épopée à la tragédie : « La tragédie, comme la poésie épique, produit ses effets même lorsqu’il n’y a pas d’action ; elle révèle sa puissance simplement par la lecture ». La tragédie « possède une vivacité d’impression, aussi bien dans la lecture que dans la représentation » (26.1462a).

7 Comme l’ont remarqué William Wimsatt et Cleanth Brooks, c’est Boileau qui a établi le sens moderne du « sublime » comme forte expression émotive plutôt que style hautement rhétorique. (W. K. Wimsatt, Jr., et C. Brooks, éd., Literary Criticism : A Short History, 285. Durant la période néoclassique, il existait deux courants affectivistes : le courant classique (Milton et Dryden) interprétait la catharsis comme un moyen de tempérer des émotions fortes ; le courant néoclassique insistait sur l’exaltation des émotions et, dans ses versions les plus extrêmes, « éclipsait l’aristotélisme purificatoire » (291).

8 Un tiers du traité original a été perdu ; l’auteur reste anonyme, mais on pense aujourd’hui qu’il s’agissait d’un Grec qui était au contact avec la culture juive. Longinus, “On Sublimity,” in Ancient Literary Criticism : The Principal Texts in New Translations, ed. Donald Andrew Russell et Michael Winterbottom, 460–503.

9 E. Burke, A Philosophical Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and Beautiful (1759), 48–49.

10 Longin : « On attend des statues qu’elles représentent la forme humaine, alors que… l’on recherche quelque chose de plus élevé que l’humain dans la littérature » (495).

Burke : « Nous découvrons à travers l’expérience que la poésie et l’éloquence sont tout aussi capables, non, en réalité beaucoup plus capables de créer des impressions profondes et agréables que n’importe quel autre art, voire que la nature elle-même dans de très nombreux cas » (158).

11 Selon Ernst Cassirer, c’est le traité de Burke sur le sublime et non le commentaire de Boileau sur Longin qui « constitue la première présentation importante » du problème esthétique posé par le sublime, et exemplifie l’expansion du champ de la subjectivité esthétique durant la seconde moitié du xviiie siècle. (E. Cassirer, « Fundamental Problems of Aesthetics », 328–29).

12 S. T. Coleridge, « Classical and Romantic Drama », 176.

13 Le concept woolfien postromantique de l’èthos correspond à l’interprétation faite par S. H. Butcher de l’action dramatique chez Aristote, dans le sens où il inclut le « sens venant de l’intérieur » : « La [(praxis)] que l’art cherche à reproduire est en grande partie un processus venant de l’intérieur, une énergie psychique qui se diffuse vers l’extérieur ; les actions, incidents, événements, situations sont inclus dans ce processus dans la mesure où ils jaillissent d’un acte de volonté venant de l’intérieur, ou enclenchent une pensée ou un sentiment » (123).

14 V. Woolf, « A Letter to a Young Poet » (1932), 2.184.

15 V. Woolf, Mrs. Dalloway, 201.

16 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, 6.421, 183.



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