Derrida, Foucault, le document et l'histoire : la période de la psychanalyse

Joshua Kates

  Indiana University, Bloomington

  1. Près de trente ans après sa première réaction à L’Histoire de la folie de Foucault, Derrida, dans son essai de 1992 intitulé « Être Juste avec Freud : l’histoire de la folie à l’âge de la psychanalyse », étudie la question de la période, de l’époque, tout particulièrement l’époque actuelle ou contemporaine1. Cette question — celle de l’insertion de la pensée dans l’histoire, et de savoir si elle peut satisfaire le schéma de la période ou de l’époque — se révèle essentielle, comme cette communication l’affirme, à l’héritage laissé à la fois par Derrida et Foucault.

  2. Le problème de l’époque s’avère donc bien décisif, mais pas pour les raisons qui pourraient venir à l’esprit immédiatement. Ce ne sont pas les travaux de Derrida ou de Foucault inscrits dans une époque, dans un âge, un âge précédant le nôtre, et le statut de notre époque actuelle et nouvelle par rapport à la leur, révolue, qui sont en jeu ici. Mon objectif n’est pas d'établir si l’âge de Derrida et de Foucault, ou de Freud, se maintient dans le nôtre, ou, au contraire, si notre âge arrive après le leur — celui de Freud, Derrida et Foucault.

  3. Certes, l’insertion de la pensée et de l’écriture, du travail intellectuel, dans le temps était indubitablement une question avec laquelle Derrida et Foucault étaient eux-mêmes constamment aux prises, une question se manifestant sous la forme de la période et qui joua un rôle pivot dans leurs divergences — Derrida n’ayant jamais souscrit à cette idée tout simplement — néanmoins, je soutiens que le statut d’une telle insertion, du rapport à l’histoire et à l’historiographie chez ces deux auteurs, reste fondamentalement indéterminé. Peut-être parce que l’histoire et ses configurations constituèrent un espace où leur pensée était la plus alerte — tandis que d’autres terrains tout aussi fertiles furent assurément le langage et l’écriture pour Derrida, et la société et le pouvoir pour Foucault — peut-être parce que c’est sur ce terrain que leurs réflexions et la réalisation de celles-ci eurent lieu, une tension et une question continuent de sous-tendre la quasi-totalité de ce que les deux hommes ont énoncé dans ce domaine. Le problème de l’époque et de l’insertion de soi dans l’histoire nous donne ainsi accès à leurs travaux, surtout à ceux de Derrida en l’occurrence : une occasion de penser avec et contre eux, de les répéter, et de les répéter autrement, dans un mouvement qui transporte ces textes dans un avenir impensé, tandis qu’au même moment celui-ci n’est peut-être pas complètement ou simplement pas du tout situable dans une perspective historique.

  4. L'articulation de l'histoire, les mécanismes de l'historicité et de l'historiographie ont bien sûr grandement trait au corpus de Freud, aussi, et à la psychanalyse qu'il a fondée. Dans « Être juste avec Freud », Derrida explore ainsi la thèse selon laquelle Foucault n'appartient pas à n'importe quel âge, mais bien à « l’âge de Freud ». Plus particulièrement, dans « Être juste », Derrida décrit dans L’histoire de Foucault, et dans les écrits ultérieurs de ce dernier, ce qu'il avance être une relation double et ambivalente avec Freud, sa réussite et son entreprise, ce grâce à quoi Derrida interroge la figure de l'époque et de l'insertion de la pensée de Foucault, ou toute autre pensée, dans l'histoire2.

  5. La majeure partie des travaux principaux de Derrida de la période 1991-1994, en mettant l’accent sur Freud (ainsi que sur Marx), traitent de l’histoire et de sa thématisation. Dès lors, la raison pour laquelle, dans « Être juste », l’âge de Freud devait être le terrain sur lequel Derrida posait de nouveau à Foucault la question de « la possibilité d’une histoire de la folie » (143) devint plus claire deux ans plus tard à un colloque, où Derrida donna une communication intitulée aujourd’hui Mal d’Archive : une impression freudienne3. Dans ce texte, Derrida invoque les conclusions de Freud et l’accueil qui leur fut réservé en France pour précisément interroger l’évidente existence de l’historiographie et de l’historien — en particulier, la présomption de l’histoire à comprendre l’œuvre de Freud dans sa totalité4. Dans Mal d’Archive, Derrida, en conséquence, continue la conversation qu’il avait reprise avec Foucault deux ans plus tôt. À cette époque en effet, Derrida se charge de la mission dont Foucault s’était lui-même investi une trentaine d’années auparavant dans L’Archéologie du savoir. Derrida revient exactement aux thèmes avec lesquels l’œuvre de Foucault en 1970 commençait : le document et l’archive. Sur le terrain de Freud, Derrida esquisse le concept de l’archive qui récompensa les efforts de Foucault lui-même vingt ans plus tôt afin de concevoir les présuppositions fondamentales de sa propre œuvre historique.

  6. Pourtant, en adoptant ces thèmes de l’archivation et du document, Derrida ne reconsidère pas seulement certaines des plus anciennes préoccupations de Foucault, mais aussi les siennes propres. Derrida déclare dans Mal qu’il revient aux « thèmes… de schèmes conceptuels qui me sont familiers jusqu’à l’obsession et n’en restent pas moins secrets, jeunes, et à venir pour moi » (46-47). Ainsi, avant de parler des Foucault et Derrida de la fin, je voudrais commencer en parlant du Derrida du début, de ses premiers travaux sur le sujet. Dans ce qui suit, j’isolerai tout particulièrement deux thèmes de ses travaux, deux pierres de touche que je considère primordiales dans toute la pensée de Derrida : l’une appartient à l’ « archidocument », l’autre à l’opération d’infini et de totalité historique. En m’appuyant sur ceci, et en notant les variations (et les continuités) que le traitement de ces sujets par Derrida indique lorsqu’ils refont surface dans Mal, je mettrai à jour le caractère inachevé des réflexions de Derrida (et de Foucault), que l’on peut discerner selon moi, dans leur traitement de la question de l’histoire.

  7. Il y a du mystère, peut-être même du secret, de l’archive, après tout, à l’état latent dans toutes les discussions menées par Derrida sur le document. Dans son « Ponctuations : le temps de la thèse » de 1980, Derrida nous dit qu’en 1957 il avait l’intention d’écrire une thèse sur « l’idéalité de l’objet littéraire », projet qu’il abandonna. En outre, il ne reste aucune trace de ce travail, pour autant que je sache, où que ce soit dans les archives de Derrida — aucun plan, aucune note5. Il existe cependant un indice quant à quoi se rapporte ce texte fantôme. En plus de la référence qu’il y fait dans « Temps », une longue note de bas de page dans sa thèse secondaire de 1962 (l’introduction de 171 pages de sa propre traduction du fragment du texte de Husserl de 46 pages intitulé Die Ursprung von Geometrie — ci-après appelé « Introduction ») indique le rôle que Derrida attribuait à la littérature à cette époque.

  8. L’importance de cette note de bas de page, et par conséquent de ce projet dans son ensemble, se répercute sur le texte auquel elle est jointe. Car ici, Derrida choisit ce qui, à mes yeux, reste une formulation étonnante, qui nous éclaire sur sa compréhension du document et de la littérature à cette époque. Au cours de sa discussion sur l’écriture, Derrida insiste sur le fait que la possibilité de l’incorporation — l’ « incorporabilité », non pas l’incorporation, de l’« idéalité » dans un medium linguistique et scriptural — « prescrit à la communication, donc à la tradition et à l’histoire pures, une spatio-temporalité originale, échappant à l’alternative du sensible et de l’intelligible, de l’empirique et du métempirique » (88).

  9. Parce que dans les derniers travaux de Husserl, l’idéalité du sens — la manière d’Être de cette sorte de sens qui semble être la même partout (nous lisons par exemple en français des versions identiques, et non similaires, de Madame Bovary) — n’est pas simplement ou finalement désincarnée, parce qu’il est impossible de la retirer de tout type de signification ou de se contenter d’envelopper sa surface, « comme en un "platonisme" ou "bergsonisme" (« Introduction » 93) ; et parce qu’elle a son propre type d’incorporation en la forme d’une chair vivante et signifiante, Leiblichkeit, chair, elle façonne ou trouve des formes de communication qui lui conviennent, y compris ce que Derrida allait appeler « archi-documents » — des unités de transmission se convenant à elles-mêmes, plus grandes que des signifiants écrits en tant que tels. Ces unités ne sont en effet ni empiriques ni non-empiriques et sans elles une telle histoire et une telle historicité, et une « pure histoire et une pure tradition », ne pourraient se constituer. De telles formes, particulièrement visibles en littérature, doivent leur existence à une idéalité et à une écriture conçue de manière transcendantale ; et pourtant elles ne sont en même temps la fonction d’aucune intentionnalité réelle mais plutôt son véhicule. Elles échappent ainsi à ces oppositions qui contrôlent autrement la tâche de la philosophie6.

  10. Au-delà du geste par lequel il interrogera ultérieurement ces formes dans leur spécificité — le livre, la signature et ainsi de suite — Derrida continuera de rencontrer dans celles-ci un problème nucléique, majeur et « toujours jeune » dans sa pensée : à savoir, quelles conséquences l’existence de telles formes peut-elle avoir pour la vérité qu’elles aident à fonder ? Car, selon Derrida, il ressort des dernières œuvres de Husserl une tradition radicale et transcendantale, non seulement du savoir mais aussi de la vérité : une historicité transcendantale de la vérité reliée à la possibilité d’une écriture transcendantale, aussi bien que d’une telle documentation7. Or, la constitution transcendantale comprend la signification linguistique et même l’inscription, et la possibilité de la disparition de la vérité se présente en raison de ce nouveau rapport au corps du signe.

  11. La portée de ce problème dans l’ensemble de la pensée de Derrida devient d’autant plus évidente dans une expérience de pensée que Derrida propose en 1962, et qui est absente de l’œuvre de Husserl. Ayant posé la question de la possible disparition de la vérité, Derrida imagine « une conflagration universelle, un incendie de la bibliothèque mondiale, une catastrophe du monument ou du “document en général » (« Intro­duction » 93). Pour mettre « l’archidocument » à l’épreuve (88), pour déterminer de quelle manière ces formes qui ne répondent ni à l’empirique ni au métempirique se rapportent aux deux en fin de compte, Derrida réfléchit à une destruction totale et factuelle de l’archive.

  12. Une version de cette possibilité réapparaît bien sûr dans Mal d’Archive ; et s’avère par conséquent un élément clé dans la détermination de la première distance ou l’espacement entre les premières positions de Derrida et celles qui suivront plus tard. Même si Derrida ne donne peut-être jamais une réponse catégorique aux résultats de son hypothèse — il se peut, après tout, qu’aucune n’existe — il faut souligner ici qu’il rejette la justesse de cette possibilité ; il nie qu’une telle destruction puisse avoir un quelconque effet sur la vérité, que cette circonstance aie une « pensable signification » (« Introduction » 93)8.

  13. Plus de trente ans plus tard, revenant à Mal d’Archive, l’opinion de Derrida sur cette possibilité a clairement changé, bien qu’il soit difficile de dire de quelle manière9. Derrida introduit en effet la notion de « mal d’archive », en gardant cette même possibilité de destruction à l’esprit. Il considère à présent que la destruction totale de l’archive est non seulement possible, mais aussi significative pour la possibilité de chaque histoire sans exception.

  14. Reprenant sa précédente lecture de Freud dans “The Mystic Writing Pad,” et dévoilant plus en détail ses assertions, Derrida soutient, d’abord, que le model topologique du bloc-notes, comme il a été traité auparavant, établit la possibilité dans la psyché d’un certain extérieur, d’une extériorité intérieure, composé d’une surface d’hypomnèse et d’une « prothèse intérieure », ces dernières n’appartenant plus au champ de la conscience. Ensuite, Freud ouvre de ce fait la porte à ce que Derrida lui-même estime être « un mal d’archive » : une extériorité encore plus radicale et puissante qui porte en elle une puissance infiniment destructrice et qui « touche au mal radical » (39). « Cette menace », écrit Derrida, « est in-finie » (38).

  15. Derrida, dans Mal d’Archive, modifie ainsi sa position envers le (archi-)document, bien que ce soit d’une façon complexe. La destruction est maintenant jugée infinie, non-finie ; à ce titre, elle a trait à tout ce qui pourrait être appelé histoire, l’histoire de la vérité scientifique et géométrique comprise. Au moment où l’histoire à proprement parler commence, c’est-à-dire au moment où la mémoire personnelle fait défaut, un moment que Derrida nomme dès lors « finitude radicale », un autre pouvoir de destruction, infini à présent, ou du moins non-fini, entre en jeu, et duquel aucune histoire, en principe, n’est à l’abri.

  16. Pourtant, d’un autre côté, ce n’est toujours pas la destruction réelle, factuelle, de l’archive qui semble être en question, mais plutôt la possibilité d’une telle destruction, bien qu’il ne s’agisse pas d’une possibilité philosophique, puisque cet argument est filtré par Freud10.  C’est une force qui est en jeu, une pulsion qui en effet rend possible l’archivation, puisque c’est une pulsion de répétition (fonctionnant au-delà de la finitude), qui pourtant menace simultanément de défaire l’archive, puisque c’est aussi une pulsion axée sur la destruction, une « pulsion de mort » sans borne11.

  17. Cette affirmation, nette mais toujours nuancée, de l’importance d’une destructibilité non-finie de l’archive constitue ainsi la première différence de la répétition, le premier espacement dans le corpus de Derrida sur lequel je voudrais attirer votre attention. S’il n’est pas question du document physique dans sa factualité — Derrida, dans Mal d’Archive, met en avant le rite de la circoncision, une trace qui fonctionne précisément comme et par l’effacement, comme un exemple du signe de l’archive, confortant davantage cette nuance — la disparition, même totale ou du moins non-finie, se rattache néanmoins maintenant à toute l’histoire, y compris, à qu’il semble, à l’histoire de la vérité. Contrairement à ce que Derrida avançait trente ans plus tôt, les objets mêmes des sciences et de la géométrie, dans la mesure où ils dépendent de ces formes, peuvent maintenant disparaître.

  18. La seconde caractéristique, la seconde distanciation ou différenciation que je voudrais exposer, se trouve dans la citation ci-dessus où Derrida renvoie à un « mal radical », et poursuit pour identifier « la dimension éthico-politique du problème » (38). Les références que Derrida fait dans Mal d’Archive au concept s’avèrent déconcertantes et ceci nous donne une autre raison de retourner aux premiers écrits de Derrida. La raison pour laquelle, d’une part, « la possibilité...même du concept » (51) devrait être en jeu dans l’archive, et d’autre part, Derrida se refuse à reconnaître quelque concept d’archive que ce soit et opte pour les impressions à la place, les impressions freudiennes, ne devient évidente que grâce au contexte fourni par ses travaux précédents12.

  19. Pour résumer, ce qui compromet l’existence de concepts dans les archives, c’est le lien que Derrida établit dans l’ « Introduction » entre l’historicité du discours (particulièrement, les discours du savoir, encore une fois) et l’univocité et l’équivocité inhérentes aux concepts. La contribution indéniable de l’écriture et de la documentation à l’histoire pure et transcendantale de la vérité consiste à doter un sens qui se constitue de façon transcendantale d’une transmissibilité potentiellement infinie, de rendre possible une tradition infinie ou non-finie corrélée à la propre omnitemporalité de la vérité. (Au moment où une inspiration géométrique se dévoile comme universellement valide, valable pour potentiellement tout le monde, il doit y avoir au moins en principe une possibilité subjective et transcendantale d’une disponibilité et répétabilité illimitées surveillant et convenant à ce type d’objectivité.) Pourtant, cette simple possibilité d’une infinie transmissibilité que l’écriture permet, fait obstacle également immédiatement à la garantie de ce moment dans la sphère de la constitution transcendanto-historique elle-même. L’infinie transmissibilité extrait de l’intérieur de l’historicité transcendantale cette possibilité de la disparition de la vérité et la réintroduit, alors que, précédemment dans l’Introduction, elle était vue comme impossible lorsqu’elle émanait de l’extérieur, de la destruction factuelle de l’archive. Car une telle historicité transcendantale du discours est nécessairement toujours en cours, s’étalant du point d’origine jusqu’à la fin. Par conséquent, elle occasionne sans concessions, comme Derrida le dit avec tant de beauté, « des mises en perspectives singulières » et une équivocité apparemment irréductible13.

  20. Or, cette possibilité d’une équivocité inhérente sous-tend, comme je l’avance, l’assimilation derridienne du problème du concept et de l’archive dans Mal d’Archive. Au cours de sa conférence de 1994, Derrida parle d’ « un schème ou d’un processus in-fini ou indéfini » qui pourrait déstabiliser le concept : à la fois le concept de l’archive et tous les concepts, puisque ces derniers, recourant à cette transmissibilité que l’Introduction souligne, dépendent eux-mêmes de la notion non-conceptualisable d’une archive en tant que telle14.

  21. Ainsi, en 1994, Derrida adhère sans limite à la possible déstabilisation des concepts découlant de leur historicité radicale. Je dis « sans limite », car, même s’ils sont liés, les travaux de 1994 et 1962 se distinguent, là encore, de par l’issue du scénario qu’ils partagent. L’univocité, et non l’équivocité, prévaut finalement en 1962 : le concept se stabilise. Une seconde différenciation ou espacement fait ainsi son apparition, une différenciation qui dépend du sujet que Derrida introduit à la fin de la citation de la dernière note : « l’avenir ».

  22. Plus exactement, en 1994, Derrida déclare que le concept de l’archive, et peut-être tout concept, n’est pas encore, ni vraiment un concept, dans la mesure où il repose sur une ouverture sur l’avenir, une ouverture qui s’avère un espace de l’éthico-politique : à la fois la possibilité de la responsabilité, la responsabilité de l’Autre et envers l’Autre, aussi bien que celle du mal radical. En d’autres termes, dans Mal d’Archive, Derrida incorpore la question philosophique de l’équivocité et de l’univocité des concepts à la question historiographique de l’archive en tant que telle, et cette possibilité (l’archivologie, comme l’appelle Derrida) finit par recourir à une ouverture sur un avenir inconnu, impossible à anticiper, que Derrida thématise à l’époque sous le titre de messianité sans messianisme, une notion qui est reversée au compte de la religion et à l’histoire, mais, de manière révélatrice, pas de la philosophie, comme nous allons le voir.

  23. En effet, l’écart entre sa position actuelle et la précédente est frappant, puisqu’en 1962 Derrida fait appel à un avenir également, à un futur infini, malgré cette possibilité de radicale équivocité du concept. Ici, précisément au moment où une telle équivocité se fait menaçante, un certain futur fait son apparition ; cependant en 1962, ce futur supporte la stabilisation du concept.

  24. Derrida introduit un tel futur dans sa comparaison célèbre entre Husserl et Joyce ; elle prend la forme d’un telos, conçu comme une Idée infinie — une conception qui se situe au centre de l’ensemble des dernières œuvres de Husserl, traversées, comme elles le sont, par une crise de la raison, face à laquelle ce telos et son avenir font leur entrée. Plus précisément, bien que Husserl et Joyce thématisent et se heurtent à l’équivocité, la priorité, selon Derrida, doit aller à Husserl, puisque sa pensée seule nous transmet l’« horizon absolu » de leur entreprise commune : à savoir, l’univocité15. « Leur telos commun, la valeur positive d’univocité, ne se relève immédiatement que dans la relativité définie par Husserl. L’univocité est aussi l’horizon absolu de l’équivocité » (107).

  25. Le fonctionnement de ce telos, la raison en tant qu’idée infinie, s’ouvrant sur un avenir non-fini, a ainsi en 1962 une existence et une irréfutabilité qui vont de soi, et qui s’étendent, comme Derrida le dit clairement aussi, au-delà de toute histoire factuelle et de toute culture empirique ; il s’agit d’un horizon à la fois privilégié et « absolu »16. Cette irréfutable pré-dominance de la raison précisément, de son telos, qui ici prend la forme d’une prise de recul vis-à-vis de l’histoire constituée, stabilisant en principe tout concept en avance, n’est, alors, apparemment, plus affirmée par Derrida en 1994. Le mécanisme de l’à-venir, une certaine messianité sans messianisme, modelant à présent l’historicité et l’équivocité qui autrefois accompagnaient la transmission de sens en une forme encore plus ouverte et potentiellement plus déstabilisante, apporte avec lui un futur nouveau et plus radical à la place. « Une messianité spectrale travaille le concept d’archive et le lie, comme la religion, comme l’histoire, comme la science même, à une expérience très singulière de la promesse » (Mal d’Archive 60).

  26. Cette nouvelle appréhension de l’avenir radical et de l’historicité, accompagnée de la redétermination de la totalité philosophique et de sa téléologie, représente ainsi la seconde différenciation ou espacement visible dans Mal d’Archive. Afin d’amorcer ma conclusion, si on les considère ensemble, alors, à quoi ces deux espacements équivalent-ils, et en quoi enfin se rapportent-ils tout à fait à l’histoire ?

  27. Plus généralement, ces deux distanciations répondent, comme c’est peut-être déjà clair, à ce que Derrida qualifiait autrefois d’ « empirisme », bien que ce point soit toujours un sujet complexe dans son œuvre. Sans chercher à mettre toutes ses nuances sur le même plan, il est légitime d’affirmer que la pensée de Derrida a pris une direction empiriste au cours du temps. Ce n’est pas seulement le cas, bien que ce soit indubitablement le plus évident, vis-à-vis de la première caractéristique. Le mal d’archive, la pulsion de mort, en ce sens qu’il affirme la destruction absolue, même en tant que simple possibilité, pointe en direction d’une issue empiriste. Le fait que la destruction non-finie de l’archive soit au moins une possibilité, telle que la vérité pourrait disparaître — et ceci d’après les conclusions qui relèvent en fin de compte de « l’histoire, la religion et la science » — signifie qu’une sorte de factualité se montre irréductible en ce qui concerne la nouvelle conception ou les impressions de Derrida sur l’archive.

  28. De même, la messianité, tout spécialement dans la mesure où elle est l’objet d’ « une expérience », comme Derrida le précise plus haut, incline vers l’empirisme également, d’un type presque diamétralement opposé cependant, un type qui renvoie à l’absolu lui-même, à la condition plutôt qu’au conditionné. Une telle messianité est, néanmoins, ici et ailleurs caractérisée par une « expérience », qui, de plus, est jugée inarticulable pour l’essentiel, « une expérience de l’impossible », comme l’indique Derrida dans Spectres.

  29. Cette distanciation (ou espacement) potentiellement empiriste — peu importe sa disposition définitive, puisqu’aucune de ces considérations ne nécessite, bien sûr, que les écrits plus anciens de Derrida n’entrent fondamentalement en conflit avec ses œuvres postérieures — se retrouve au premier plan, en ce sens qu’elle rend visible un problème dans la pensée de l’histoire qui traverse tout le corpus de Derrida17. La phase empirique plus tardive de Derrida, on peut le déclarer, rencontre des difficultés parallèles à la précédente, des difficultés qui, regroupées, forment un tout unique. Je privilégie en partie les plus tardives cependant, non seulement parce que ces questions, sous cette forme, semblent être relativement moins bien reconnues, mais aussi parce qu’elles permettent d’établir le lien avec Foucault.

  30. Car, en adéquation avec ce penchant empiriste qui vient d’être mis en évidence, peu importe son degré de détermination ultime, l’œuvre de Derrida, lorsqu’il revient à Foucault et aux questions de Foucault lui-même, rencontre précisément le même souci que Derrida prétend avoir vis-à-vis du projet de Foucault : à savoir, un certain historicisme. À cette époque, celle de l’exploration, du moins par intermittence, de ce terrain empiriste relativement novateur, la propre pensée de Derrida aborde aussi l’historicisme18.

  31. Plus clairement, il n’est pas question ici d’un segment historique fini, limité de tout côté, tels que l’époque et l’âge foucauldiens qui se placent au centre d’« Être juste ». À la place, Derrida parle sans cesse d’un changement sismique dans lequel nous nous trouvons, un événement unique qui traverse notre « moment », dû, dans Mal d’Archive et dans Spectres, à une certaine prolifération et transformation du virtuel19. En outre, comme les lecteurs de Spectres le savent, un tel moment, tel que maintenant, notre temps, selon Derrida, tient d’une certaine anachronie et d’une dislocation : c’est un instant où la non-coïncidence du temps avec lui-même se révèle. Néanmoins, les possibilités empiristes signalées plus haut ajoutées à l’affirmation de Derrida qu’aujourd’hui, une accélération ou un accroissement, extraordinaire et novateur en lui-même, de ce qui a peut-être toujours été en œuvre, ont lieu et produisent une version de l’historicisme dans la pensée de Derrida. Ainsi, dans la discussion de Derrida sur le courriel, peut-être le passage le plus connu et le plus cité de Mal d’Archive Derrida affirme que cette technologie « aurait transformé cette histoire de fond en comble et dans le plus initial de sa production, dans ses événements mêmes » (34).

  32. Derrida, à ce moment, prétend que le passé, et pas n’importe quel passé, mais en effet celui d’une certaine connaissance et découverte, serait radicalement différent, s’il devait participer à contexte historique différent — le nôtre aujourd’hui. De ce fait, il va au-delà de l’agnosticisme vers le déterminisme. En effet, il isole, d’un coup — au moins — ferme, le présent dans sa singularité, et suggère que le moment qui en résulte a des effets clairement lisibles sur la connaissance et la vérité (rappelant à cet égard le fonctionnement d’un episteme). De cette façon, son analyse succombe à une version peut-être unique de l’historicisme.

  33. Il ne faut cependant pas perdre de vue le tableau d’ensemble. Si un tel historicisme surgit sur un terrain empiriste, les premières articulations derridiennes de l’histoire soulèvent aussi des difficultés. Cet historicisme repose, comme cela a été clarifié plus haut, sur une historicité radicale et transcendantale rattachée finalement au postulat que le sens est idéalité, une notion problématique comme je l’ai soutenu ailleurs. Ce qui a été réexaminé ici suggère donc que le rôle de l’histoire a toujours été instable. D’autant plus que, comme nombre d’entre vous s’en souviendront, Derrida, en accord avec ce qu’il a appelé un « empirisme radical », dans ses premiers écrits, proposait déjà une lecture de notre présent, du  « lieu où nous nous trouvons maintenant ». Depuis au moins De la grammatologie, Derrida attribue à notre temps — moment où l’impensable, l’absolument périodique et l’a-périodique sont mis en œuvre — un privilège hyperbolique, bien que dans ses premiers travaux il diffère aussi immédiatement toute articulation directe de ce moment et de son effet (à cause de la menace de « l’inflation absolue », « l’inflation du signe lui-même »)20.

  34. Ainsi que ce soit dans la forme précédente, où l’histoire dans sa totalité apparaît sur le côté absolu et appartient à la philosophie dans sa singularité, ou plus tard, quand les effets de celle-ci ou d’un autre absolu sont établis à partir de notre présent et de leur apparition dans celui-ci, comment une telle histoire doit être présentée, et comment l’instant présent, la période, et ce qui les dépasse doivent être agencés par rapport à une telle totalité, reste un problème perpétuellement en mouvement, comme le suggère le fait que Derrida insiste de nouveau sur ces questions dans les années 90.

  35. De même, même si de toute évidence je n’ai pas le temps de le démontrer ici, je crois que Foucault non plus n’arrive jamais à résoudre de manière satisfaisante un ensemble analogue de questions relevant de l’ultime affranchissement de l’histoire dans son œuvre. Il se précipite non seulement dans une impasse qu’il reconnaît dans l’Archéologie, mais les préoccupations de Derrida quant à Foucault et à la periode, sont, selon moi, dans une certaine mesure, valides. Il faut ajouter une condition à ceci cependant : à savoir, que l’usage foucauldien de l’époque a toujours été stratégique, et est toujours inextricablement lié, comme pour Derrida, bien que différemment, à un intérêt et à un investissement dans quelque chose d’autre, quelque chose qui, d’une façon complexe, dépasse l’histoire à nouveau,  comme l’indique la volonté de Foucault d’identifier à plusieurs reprises son projet à une hybridité, par exemple un projet historico-philosophique, ou plus tard, une éthique21.

  36. Ce que ceci implique, néanmoins, si l’on fait un énorme bond en avant, pour des questions de temps, c’est qu’il existe effectivement un chevauchement capital entre les pensées de Derrida et Foucault. Que ce soit au cours de cette phase plus tardive, où Derrida rencontre l’histoire sur un terrain plus empiriste, ou à une précédente époque où il fait face à l’histoire sur un terrain plus philosophique à travers la lentille de l’idéalité — même si là encore, bien sûr, au moins depuis De la Grammatologie, Derrida attribue l’impensable à notre temps, lorsque l’absolument périodique et l’a-périodique sont mis en œuvre, bien qu’il en reporte toute articulation directe à cause de la menace de « l’inflation absolue », « l’inflation du signe lui-même » — il s’avère que Foucault et Derrida, tous les deux, considèrent l’histoire et son autre, tous les deux utilisent l’histoire comme un terrain pour un certain extérieur radical pour fixer un absolu nouveau et sans précédent22.

  37. Et même si je suis plutôt bien disposé, comme je l’ai esquissé ailleurs, envers ces expérimentations respectives avec un « absolu » autre, novateur, ou avec l’excès, que Derrida et Foucault entreprennent tous deux — ce qui selon moi surpasse, par exemple, les schémas renouvelés d’une transcendantalité essentiellement Kantienne que l’on trouve dans des œuvres, sinon puissamment créatives, comme celle d’un Gilles Deleuze ou d’un Bruno Latour — à présent, néanmoins — dans un sens totalement immanent à la séquence textuelle que je viens de présenter — à présent est venu le moment de se demander si ces utilisations totalisantes de l’histoire que l’on trouve chez chaque auteur ne bloquent pas l’accès aux plus profondes questions avec lesquelles ils se sont débattus, ainsi qu’à l’historicité effective de leur œuvre propre. Considérer l’âge, la période, ou l’époque, y compris la messianité, l’abrahamique, et l’« instant présent disloqué », cache, sans doute, les enjeux les plus profonds de leur œuvre, tout comme la manière dont ces écrits s’insèrent en fait dans un devenir. L’histoire n’est plus, et n’a peut-être jamais été, dans quelque forme reconnaissable que ce soit, un terrain fertile sur lequel penser, surtout à ce qui peut fonctionner selon des temporalités et des séquençages essentiellement étrangers. Au minimum, ce sont là aujourd'hui les questions et les possibilités soulevées par la façon dont Derrida interroge et Foucault (non sans le répéter d'une certaine manière) et le problème de la période en ces derniers temps de leur dialogue.

Traduction de Loic Lerme

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Derrida, Jacques. « Être Juste avec Freud : l’histoire de la folie à l’âge de la psychanalyse ». Roudinesco, Élisabeth et al. Penser la folie : essais sur Michel Foucault. Paris : Galilée,1992.

  • Derrida, Jacques. « Ponctuations : le temps de la thèse ». Du Droit à la philosophie. Paris : Galilée, 1990.

  • Derrida, Jacques. De la grammatologie. Paris : Minuit, 1967.

  • Derrida, Jacques. L’Écriture et la différence. Paris : Seuil, 1967.

  • Derrida, Jacques. Mal d’Archive : une impression freudienne. Paris : Galilée, 1995.

  • Husserl, Edmund.  L’Origine de la géométrie. Trad. et intr.  Jacques Derrida. Paris : PUF, 1962.

 

1 É. Roudinesco et al., Penser la folie : essais sur Michel Foucault. 1992.

2 Derrida, par exemple,  affirme ici le « désordre »  que  « ces découplages et ces auto-différences » qu’il a introduits apportent à  « toute configuration, toute époque entière, ou tout âge historique » (« Être juste » 186)

3 Mal d’Archive : une impression freudienne, dont le titre original, il faut le noter, était Le Concept d’archive : une impression freudienne.

4 Parlant de la psychanalyse freudienne, Derrida affirme le « point où cette science, ce projet pour une science prétend transformer le statut même du sujet de l’historien, la structure de l’archive, le concept de la vérité "historique" » (Mal d’Archive 87).

5 Cependant, comme c’est bien connu, par exemple, nous avons dans sa totalité la thèse de Derrida de 1954, pour son « Mémoire », Le Problème de la genèse dans la philosophie de Husserl.

6 Tirant les conclusions de cette découverte, Derrida continue : « Dès lors, la vérité n’est plus simplement exilée dans l’événement originaire de son langage. Son habitat historique l’authentifie, comme l’archi-document authentifie s’il est le dépositaire d’une intention… » (88).

7 En outre, Derrida insiste en 1962 et quelque temps après cela que toute histoire est conçue à la lumière de la possibilité que Husserl avance. Une telle vue de cette histoire et de cette historicité apparaît à un moment décisif dans la première confrontation de Derrida avec Foucault et L’histoire. Dans son essai intitulé  « Cogito »,  nous lisons ces lignes, seulement réellement intelligibles, étant donné le privilège qu’elles attribuent à l’histoire de la philosophie, sur la base de ce qui précède. « Il s’agit de rendre compte de l’historicité même de la philosophie. Je crois que l’historicité en général serait impossible sans une histoire de la philosophie et je crois que celle-ci serait à son tour impossible s’il n’y’avait que des hyperboles, d’une part, ou s’il n’y avait, d’autre part, que des structures déterminées, des Weltanschauungen finies. » (L’Écriture et la différence 94).

8 Il conclut cette phase de sa discussion comme suit : « De la même façon, les enchaînements et les sédimentations de la vérité géométrique étant totalement libres de toute facticité, aucune catastrophe mondaine ne peut la mettre elle-même en danger. Tout danger factice s’arrête donc sur le seuil de son historicité interne. Même si tous les « documents » géométriques — et aussi bien tous les géomètres réels — devraient sombrer un jour, en parler comme d’un événement « de » la géométrie serait commettre la plus grave des confusions de sens et abdiquer la responsabilité de tout discours rigoureux. » (Introduction 97).

9 Pour être clair, je ne sous-entends pas que Derrida en 1993 à Naples, ou où que ce fût, lorsqu’il écrivait Mal d’Archive se rappela cette portion de son texte de 1962, que cet écart, si c’en est un, était un écart dont il avait volontairement l’intention. Les corrélations que j’avance peuvent très bien appartenir aux portions hypomnésiques, et non anamnésiques, de l’œuvre de Derrida.

10 « L’archive », comme Derrida l’écrit, « travaille toujours et a priori contre elle-même » (27).

11 Ainsi, parlant à nouveau du problème du corps du signe, Derrida semble inverser son orientation précédente, alignant à présent un tel effet destructeur sur l'élimination de ses limites factuelles. La citation ci-dessus continue en ces termes : « elle emporte la logique de la finitude et les simples limites factuelles, l’esthétique transcendantale, pourrait-on dire, les conditions spatio-temporelles de la conservation » (38).

12 Le concept du concept et sa rigueur, il faut le noter, a été un sujet sensible pour Derrida, du moins dans un contexte anglophone, depuis le contretemps avec John Searle, lorsque Derrida semblait affirmer à la fois l’actualité des concepts et leur « rigueur ».

13 « Même si ces relations sont, à l’intérieur d’une science, relations d’idéalité pures et de "vérités", elles ne donnent pas moins lieu à des mises en perspectives singulières, à des enchaînements multiples du sens, donc à visée médiate et potentielle » (Introduction 106).

14 Derrida écrit : « Nous avons seulement une impression, une impression insistante à travers le sentiment instable d’une figure mobile, d’un schème ou d’un processus in-fini ou indéfini. Contrairement à ce qu’un philosophe ou un savant classiques seraient tentés de faire, je ne tiens pas cette impression […] pour un sous-concept […] mais au contraire […] pour la possibilité et pour l’avenir même du concept […] » (Mal d’ archive 51).

15 Husserl vise à  « réduire ou appauvrir méthodiquement la langue empirique jusqu’à la trans­parence actuelle de ses éléments univoques et traductibles » (105) ; Joyce souhaite « répéter et reprendre en charge la totalité de l’équivoque elle-même » (104).

16 Comme Derrida incorpore ceci vers la fin de l’Introduction, parlant du « logos divin » ou de « Dieu » (la forme dans laquelle Husserl pense en fin de compte le travail de la raison comme telos), « c’est travers l’histoire constituée que Dieu parle et passe, c’est par rapport à l’histoire constituée et à tous les moments constitués de la vie transcendantale » (Introduction 164).

17 Derrida, d’une manière assez complexe, semble avoir cru que dans le travail le plus récent il révélait simplement de plus larges horizons et/ou des points de référence que son travail précédent impliquait déjà. Rien de ce qui a été déclaré ici n’a pour but de nier ceci ; bien que ce que j’ai avancé puisse indiquer que cette conjonction relativement peu étudiée ou suture des tout premiers travaux et des plus tardifs nécessite plus de recherches.

18 Pour être clair, comme cela a déjà été examiné, Derrida a d’abord rencontré des documents et des formes assimilées qui n’étaient ni empiriques, ni métempiriques. Par conséquent, les écrits de Derrida pris dans leur ensemble peuvent être perçus comme soulignant d’abord cette dimension métempirique, puis ensuite l’empirique, sans jamais, cependant, perdre de vue l’une ou l’autre — l’articulation des deux étant souvent l’objet de ces écrits — vu les problèmes posés par l’histoire les traversant toutes deux.

19 Ceci est peut-être le plus manifeste dans la déclaration de Derrida que  « le moment sera venu d’accepter un grand remuement dans notre archive conceptuelle, et d’y croiser une logique de l'inconscient [...]. » (Mal d’Archive, 107)

20 J. Derrida, De la Grammatologieî, 15. De cette manière, dans l’œuvre précédente, tout comme dans Mal et dans Spectres, notre temps et sa nouveauté  se coordonnent avec une ouverture absolue (et son autre) sur l’histoire, les deux moments, le présent et le futur, trouvant une nouvelle historicité dans le sens où chacun renvoie à l’autre.

21 Je considère que Derrida fait allusion au fait qu’il a appris d’une manière ou d’une autre cette pensée d’une extériorité radicale de Foucault lorsqu’il fait référence à lui-même au début du « Cogito » en tant que possesseur de « la conscience du disciple » vis-à-vis de l’auteur de L’histoire (L’Écriture 51).

22 Pour plus de clarté, l’historicité interne de la géométrie ou l’histoire de la philosophie dans sa totalité étaient les objets de la déconstruction derridienne et non des principes que Derrida lui-même a fini par affirmer. Néanmoins, en tant que suppositions, en tant en effet qu’occasion pour la déconstruction et non critique, elles ont dû avoir elles-mêmes une validité effective ou pratique qu’elles n’ont jamais eue, par exemple, pour Foucault.



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