Le signifiant et la trace : psychanalyse et déconstruction à Walden

Axel Nesme

Université Lumière-Lyon 2

  1. L’extrait de Walden1 que je me propose d’examiner dans les pages qui vont suivre se lit comme une réponse aux spéculations du théologien américain Jonathan Edwards qui, un siècle avant Thoreau, dans ses « Ombres et Images des Choses Divines », découvre la signature du divin dans la nature américaine qu’il soumet à une lecture typologique, décelant dans la topographie du nouveau continent autant de signifiants qui renvoient infailliblement au texte biblique et à l’eschatologie chrétienne. Edwards est à ce point hanté par le démon de l’analogie que les sinuosités des fleuves qui convergent vers l’océan lui semblent signifier que « toutes choses convergent vers Dieu »2, de même qu’à ses yeux les troncs d’arbres sont à leurs branches ce que le Christ est à son église. Ainsi, dans le droit fil du déchiffrement mystique du monde auquel se livrait un Jacob Böhme dans son De Signatura Rerum, le paysage de la nouvelle Jérusalem américaine offre à Edwards le spectacle d’un livre de la nature qui, contrairement à l’écriture sainte, ne cesse pas de s’écrire mais, sans toutefois jamais dévier du sens fixé une fois pour toutes dans celle-ci.

  2. Thoreau, quant à lui, ne songe pas à projeter sur le lac de Walden et sur la nature environnante le prisme d’une lecture tropologique désormais tombée en désuétude. Au lieu de s’interroger sur le signataire, il isole le moment de la signature en lui apposant le contreseing d’une écriture de naturaliste passionné par les microphénomènes qui agitent presque imperceptiblement la surface de Walden. L’énonciateur, dans le chapitre de Walden intitulé « The Ponds », ne se fait pas l’exégète du liber mundi : il nous donne en spectacle une stase du regard qui ne déserte guère le monde sensible pour s’élever vers quelque vérité abstraite, ou, a fortiori, révélée ; il procède à une mise en suspens délibérée de l’interprétation ramenée à l’état d’esquisse, à l’image des brefs moments de contact entre la surface du lac et les créatures qui l’effleurent, ou encore, de la respiration que Thoreau croit déceler à la surface de Walden, laissant soupçonner qu’il n’est ici aucun retrait de la métaphore qui n’en préfigure le re-trait.

  3. Aussi bien par son uniformité thématique (le leitmotiv du regard et celui de la surface tour à tour calme et agitée) que par la monotonie de ses temps verbaux, largement dominés par le présent gnomique ou itératif qui neutralise tout semblant de narrativité, ce texte souvent commenté ne semble conçu pour séduire que les plus contemplatifs des lecteurs. En définir ainsi les limites, c’est aussi en préciser d’emblée les enjeux. Il s’agit en effet pour nous de démêler ce que nous voyons dans ce texte de ce qui nous y regarde. Ce que nous voyons au prime abord est un travail de révision du paradigme théologique mentionné à l’instant, mais aussi d’un sous-texte platonicien qui semble omniprésent : la comparaison entre l’intelligence illuminée par le Bien et la vue dont le soleil est la cause dans la République (507b), le passage du Phèdre (276c) sur l’impuissance de l’écriture tracée sur de l’eau noire, font partie des quelques références qui semblent traverser le texte de Thoreau. Mais ce qui nous y regarde est d’une toute autre nature, car sous couvert de coller au plus près aux contours des choses pour mieux explorer les ressources descriptives de la langue, Thoreau interroge aussi les modalités désirantes d’appréhension du monde par une subjectivité.

  4. Dans sa belle étude consacrée à Walden, Michel Granger met en valeur le rôle de l’œil, « organe essentiel pour le narcissisme »3, afin de montrer que

comme le Narcisse de la légende, Thoreau s’est penché sur le miroir du lac, espérant recréer cette image unifiée et positive de lui-même qui était jadis présente dans le regard maternel. Le travail narcissique entrepris à Walden Pond consiste, par une plongée régressive dans la nature, à retrouver, puis à fixer, la forme qu’il perçoit dans son reflet à la surface du lac. […] Il obtient ainsi un reflet de lui-même […] qui lui donne le sentiment d’exister et l’aide à restaurer l’unité de son moi4.

  1. Ce sont précisément les avatars de ce signifiant central qu’est le regard que je me propose de suivre dans le texte de Thoreau, y compris lorsque celui-ci est réduit à l’état de trace, c’est-à-dire manque à être identifié et nommé comme regard. Certes, dès lors qu’est posée l’équivalence lac/œil de la terre, comme le fait Thoreau dans les toutes premières lignes du texte, tout semble joué en ce que par l’entremise du trope, le lac a clairement été assimilé à l’organe de la vue. Mon hypothèse est cependant que le regard se situe précisément là où l’œil n’est pas, qu’il se dissimule là où Thoreau échoue à le désigner, et que les nombreux termes qui, dans cet extrait, s’inscrivent dans ce paradigme, ne servent au contraire qu’à voiler le regard qui depuis le lac ne contribue pas au sentiment d’existence ou à restaurer l’imaginaire unité d’un moi, mais « déroute le sujet, le fait vaciller, défaillir, chavirer dans ses repères identificatoires5 ».

  2. En appendice de « La Scène de l’écriture », Derrida signale que :

malgré quelques tentatives de Freud et de certains de ses successeurs, une psychanalyse de la littérature respectueuse de l’originalité du signifiant littéraire n’a pas encore commencé et ce n’est sans doute pas un hasard. On n’a fait jusqu’ici que l’analyse des signifiés littéraires, c’est-à-dire non-littéraires6.

  1. Dans les développements qui vont suivre, je commencerai par m’exposer à ce reproche parfaitement fondé avant d’embrayer sur une approche du passage que j’espère plus voisine de cette « graphologie psychanalytique » que Derrida appelait de ses vœux dans le même texte. Cette démarche en deux temps s’inspire d’une remarque d’Éric Laurent qui, dans un texte intitulé « La Lettre volée et le vol sur la lettre », distingue « la part de la jouissance (a) et l’effet de sens ou l’effet de signification introduit par le parcours du signifiant7 ». Ce sont ces deux aspects que le texte de Thoreau, me semble-t-il, nous permet d’articuler.

  2. A l’effet de signification contribue tout ce qui, dans notre extrait, a trait à la mimésis et en fait une belle illustration de la tradition américaine du nature writing dont Thoreau passe volontiers pour la figure fondatrice. De la part de la jouissance relève déjà la capture scopique et l’effet de dépose du regard qu’opère le texte, capturant d’abord celui du lecteur au moyen d’un dispositif énonciatif qui, par le jeu des pronoms personnels, fait de celui-ci le dépositaire du regard (« quand vous renversez la tête en bas […] vous pourriez imaginer qu’il serait possible de marcher à pied sec […] comme vous posez vos regards sur l’étang, vers l’ouest […] vous pouvez même distinguer une punaise d’eau »), puis au moyen d’une description prodigue en une multitude de détails d’une infime minutie, qui présuppose en même temps que le lecteur soit néanmoins réduit à une cécité quasi absolue, lui qui ne voit rien, sinon du texte.8 Il y a donc dans cet extrait comme « dans la peinture du dompte-regard, c’est-à-dire que celui qui regarde est toujours amené par la peinture à poser bas son regard », selon une formule de Lacan dans le Séminaire XI 9.

  3. Ce phénomène se rejoue à l’intérieur du paysage décrit, où le soleil et son reflet forment une paire d’yeux dont le regard du spectateur ne supporte l’éclat qu’à protéger les siens et en se portant sur la surface du lac qui est donc leur punctum cæcum, puisque leur puissance d’aveuglement y est temporairement mise en échec. Il n’est pas fortuit que le lac, qui découpe dans son environnement boisé le plus trouble des loci amœni, soit à son tour métaphorisé en œil dont les bois alentour forment les cils. Sur ce troisième œil le regard de l’énonciateur peut se poser sans risquer d’y perdre la vue. Dans son séminaire sur L’Angoisse, Lacan pointe que « ce qui apparaît comme corrélatif du petit a du fantasme, est quelque chose que nous pouvons appeler un point zéro, dont l’éploiement sur tout le champ de la vision est source pour nous d’une sorte d’apaisement, que traduit depuis toujours le terme de contemplation. Il y a là une suspension du déchirement du désir ». Lacan évoque à ce propos l’image bouddhique dont les paupières abaissées semblent nous porter vers ce point zéro10. Nul besoin de recourir à l’hypothèse très incertaine que Thoreau ait eu une connaissance réelle du bouddhisme pour remarquer que la constitution du lac en fantasmatique troisième œil de la scène, est, elle, inscrite dans le texte, contribuant, selon la formule de Lacan dans le même passage, à préserver l’observateur « de la fascination du regard tout en [la lui] indiquant ».

  4. Or ce qui vient troubler cette surface apollinienne est précisément ce qui réveille cette fascination sous la forme des divers miroitements qu’insectes ou poissons y tracent et qui participent de ce que Lacan nommait le « ruissellement d’une surface qui n’est pas, d’avance, située pour moi dans sa distance » et qui au contraire « me saisit, […] me sollicite à chaque instant, et fait du paysage autre chose qu’une perspective11 », mesurable par exemple en demi-douzaines de perches, comme le suggère Thoreau lorsqu’il quantifie le diamètre des ondulations, mais possédant aussi une « profondeur de champ, avec tout ce qu’elle présente d’ambigu, de variable, de nullement maîtrisé par moi »12. A un tel effet de « ruissellement » contribuent les « insectes patineurs » ou « nèpes » qui « font jaillir les plus légères étincelles qu’on puisse imaginer »  [« the finest imaginable sparkle »], tel poisson qui lorsqu’il « jaillit hors de l’eau […] produit un vif éclair » [« there is one bright flash where it emerges »], et enfin « chaque feuille, chaque brindille, chaque pierre et chaque toile d’araignée [qui] scintille », dans les dernières lignes de l’extrait.

  5. Dans ces intermittences de la lumière, c’est sa propre vacillation qui est renvoyée au sujet. Car s’il y a un peu du tableau dans cette description, le spectateur y figure lui-même en tant que « cet objet punctiforme, ce point d’être évanouissant, avec quoi [il] confond sa propre défaillance13 », qu’il s’agisse des « quelques grains de poussière » pris dans la surface du lac semblable à du verre fondu, ou des infimes fossettes dont les poissons ponctuent la surface du lac : « çà et là peut-être, un duvet de chardon flottant sur l’eau, les poissons vont se précipiter dessus, et rider de nouveau la surface » lit-on dans la traduction française qui fait perdre un peu de vue le sens du verbe anglais dart, qui évoque une fléchette perçant une surface : « here and there perhaps is a thistle down floating on its surface, which the fishes dart at and so dimple it again ».

  6. Le champ de la vision est ainsi le lieu d'une hantise qui menace de subvertir les coordonnées imaginaires du sujet, de sorte que lorsque Thoreau écrit qu’en regardant l’œil du lac la tête en bas, on a le sentiment qu’il sépare une couche de l’atmosphère d’une autre, ce verbe est à entendre aussi au sens que Lacan lui confère lorsqu’il observe que « l’œil porte avec lui la fonction mortelle d’être en lui-même doué […] d’un pouvoir séparatif14 ».

  7. On comprend dès lors qu’après avoir défini un cadre semblable aux contours personnifiés du lac de Walden avec sa bordure d’« arbres fluviatiles », Thoreau y mette en valeur des effets de trompe l’œil dignes du peintre Zeuxis, le lac de Walden offrant un reflet à ce point fidèle de la réalité que les oiseaux y plongent, confondant l’eau et le ciel :

Vous pourriez imaginer qu’il serait possible de marcher à pied sec par dessous jusqu’aux collines en face, et que les hirondelles pourraient s’y poser. A vrai dire, elles plongent parfois au-dessous de la ligne, comme par erreur, et sont détrompées15.

  1. Mais si l’intertexte platonicien insiste dans ce passage, la causalité qu’il met en lumière est « d’un autre ordre que l’Idée, une causalité qui ne présuppose pas un plan des essences, que révélerait la traversée des apparences, mais une causalité tenant à ce qui, dans le champ du visible, est libidinalement investi, quoique retranché, bref une causalité a-philosophique16 ». Dans les pages du Séminaire XI où il est justement question du peintre grec, Lacan revient sur la jubilation qui accompagne semblables effets de trompe l’œil :

Qu’est-ce qui nous séduit et nous satisfait dans le trompe-l’œil ? Quand est-ce qu’il nous captive et nous met en jubilation ? Au moment où, par un simple déplacement de notre regard, nous pouvons nous apercevoir que la représentation ne bouge pas avec lui et qu’il n’y a là qu’un trompe-l’œil17.

  1. C’est bien en effet le moment de lever du voile de gaze qui retient l’attention de Thoreau, autant que sa brièveté indispensable au maintien de l’écran du fantasme. On lit à ce propos dans le Séminaire IV :

Sur le voile se peint l’absence. Le rideau prend sa valeur, son être et sa consistance, d’être justement ce sur quoi se projette et s’imagine l’absence. Le rideau, c’est […] l’idole de l’absence […] Voici le sujet, et l’objet, et cet au-delà qui est rien, ou encore le symbole, ou encore le phallus en tant qu’il manque à la femme. Mais dès que se place le rideau, sur lui peut se peindre quelque chose qui dit — l’objet est au-delà. L’objet peut alors prendre la place du manque, et être aussi comme tel le support de l’amour18.

  1. Je reviendrai dans un instant sur l’inscription textuelle de ce que Lacan nomme ici « cet au-delà qui est rien, ou encore le symbole, ou encore le phallus en tant qu’il manque à la femme ». Je voudrais pour l’instant signaler ce qui dans le texte me semble relever du fantasme qui ne s’articule pas seulement autour de l’objet scopique, mais aussi dans les scénarios de dévoration dont l’écosystème de Walden est le paisible théâtre et dans lesquels l’énonciateur se trouve lui-même pris par le relais de la métaphore scripturaire à laquelle Thoreau a volontiers recours pour évoquer les phénomènes qui agitent la surface du lac, comme lorsqu’il écrit : « Il n’est pas un poisson qui bondisse, ou un insecte qui tombe dans l’étang, sans que la nouvelle soit inscrite en rides concentriques ». On constate que du poisson à l’insecte, du dévorant au dévoré, c’est l’écriture qui sert de point de bascule, puisque tous deux l’ont également en partage. Dans cette logique réversible propre au fantasme, l’écrivain qui noircit la page sera donc aussi bien l’insecte qui trace son sillon rectiligne sur le lac, que le poisson dont la trajectoire « décrit un arc » de cercle tout comme Thoreau lui-même décrit le lac de Walden. A la surface du texte que nous avons sous les yeux, l’écriture ménage donc l’interchangeabilité des places à la faveur d’un jeu sur le sens littéral ou figuré du signifiant même de l’écriture, tout comme, à la manière du lac, elle l’inscrit à son tour dans le chiasme articulant « dimpling circles » (« rides en cercles ») et « circling dimples » (« rides concentriques ») donnant à lire que si le cercle produit de la fossette, la fossette produit du cercle.

  2. L’écran du fantasme fonctionne ici comme ce Bernard Baas nomme

lieu inter-médiaire où se « projettent », l’un à l’autre ou l’un pour l’autre, le sujet aliéné au signifiant (S) et l’objet chosique dont procède son désir (a) […] Entre S et a, il ne saurait y avoir présence immédiate de l’un à l’autre. Le sujet du désir ne s’expose pas à l’objet manquant ; s’il s’y exposait, il s’exposerait à l’outre-monde, il s’exposerait au rien de la Chose. Et — du même coup — dans cette abolition du monde, c’est lui-même, comme sujet, qui serait aboli19.

 

  1. C’est sur cette dimension « chosique » de l’objet je voudrais m’interroger à présent dans une approche un peu plus « graphologique » que celle qui a prévalu jusqu’ici. Parce que le texte de Thoreau ne présente aucun des dispositifs formels que nous associons avec la poésie, on pourrait croire que la traduction lui serait assez peu dommageable. Il s’avère pourtant que ce texte qui conclut sur la douceur de l’écho est lui-même saturé d’homophonies que la traduction rend à peu près imperceptibles. Or, à plusieurs reprises on observe dans le texte anglais que certains signifiants laissent derrière eux comme une trace sonore ou visuelle par laquelle affleure une sémiosis libérée des contraintes de la syntaxe et uniquement tributaire des affinités formelles qui se tissent entre les mots. Ainsi lorsqu’il est question des « nèpes, éparpillés à intervalles réguliers », le texte anglais relie par une consonance le nom et le participe passé qui le décrit : « the skater insects, at equal intervals scattered ».

  2. Et ce n’est pas la seule occurrence de ce phénomène. Ainsi, là où la version française dit qu’« une hirondelle rase l’eau de si près qu’elle l’effleure », on lit dans le texte anglais : « a swallow skims so low as to touch it ». Se tisse ainsi une paronomase entre le nom « swallow » et le complément de lieu « so low » qui en répète la consonne initiale et la dernière syllabe.

  3. L’adjectif « molten » qui qualifie le verre fondu se trouve inclure dans sa substance graphémique le signifiant « mote » désignant les grains de poussière qui y semblent en suspension, et qui se trouvent ainsi doublement contenus dans le verre fondu, et dans le signifiant qui le nomme.

  4. La phrase « not a pickerel or shiner picks an insect » que la traduction française rend par : « aucun brocheton ni vairon ne peut cueillir un insecte sur cette surface unie sans troubler de façon marquée l’équilibre de l’ensemble », ne semble a priori devoir intéresser que les plus aguerris amateurs de pêche à la ligne. Thoreau nous y fait pourtant fait plonger jusqu’aux origines de la langue anglaise en réaffirmant le lien étymologique entre le nom « pickerel », dérivé de  l’anglo-latin « pickerellus » (xiii° siècle) et le verbe « pick » dérivé du mot « pike », équivalent des mots français « pique » et « brochet ».

  5. Si la paronomase est ici bel et bien motivée par l’étymologie, il n’en était rien dans les trois cas précédents. Mais ces deux observations permettent de mettre en lumière la même logique. Ce qui compte en effet ici est l’aptitude du signifiant à se disséminer d’une manière qui peut sembler aléatoire, mais qui obéit à effort de remotivation des signes, Thoreau inscrivant au détour des phrases que je viens de citer comme l’empreinte d’un destin dans des détails descriptifs censés n’obéir à d’autre impératif que celui de reproduire au plus près les contours de la réalité observée, travail dont le pendant serait une remontée à travers les sédimentations de la langue, conjoignant ainsi dans un même geste archéo-téléologique exploration des origines et spéculation sur la fin inscrite à même la lettre.

  6. Que le lac de Walden soit le lieu où s’origine le signifiant nous était d’ailleurs suggéré dès les premières lignes du passage que nous étudions dans la formule « I have seen whence came the expression » (« j’ai compris d’où vient l’expression » 10). Cette formule demande à être lue à la lettre, non sans d’ailleurs garder en mémoire que la lettre tue, ce qui est bien justement ce contre quoi Thoreau semble tenter de se prémunir.

  7. Scruter la surface du lac de Walden, ce serait en effet accéder au lieu de naissance de la langue pour un énonciateur adoptant la posture orphique de celui qui dirige ainsi ses investigations jusqu’au lieu de provenance ultime des symboles. Mais de cette fanfaronnade Thoreau ne saurait se contenter, dès lors que cette remontée aux sources de toute inventio, ne livre qu’une expression assez banale, voire fossilisée, à savoir : « the glassy surface of a lake » (« la surface du lac, lisse comme un miroir »). De fait, depuis Milton et même depuis la traduction anglaise de la Bible, l’adjectif « glassy » est souvent utilisé pour décrire une eau calme. Or, c’est justement à partir de cette lettre morte que le texte thoreauvien irradie ses propres cercles concentriques en variant aussi bien le thème du miroir que celui de l’égalité, à commencer par le signifiant « smooth » (en français : lisse) dont on trouve sept occurrences dans l’extrait, et dont la voyelle centrale redoublée s’y rencontre à 18 reprises. Dans un texte qui fait si grand cas de la figure du cercle et des jeux spéculaires, la fréquence de cette combinaison graphématique n’est peut-être pas à mettre uniquement au compte de la folie interprétative de l'auteur de ces lignes, notamment si on la rapporte aux répétitions et déclinaisons du signifiant « smooth » qui en rythment, ou aussi bien, en font achopper l’écriture.

  8. La qualité première de la surface décrite dans ces lignes est, quels que soient les incidents qui la troublent, son aptitude à restaurer son égalité initiale. Mais à Walden aussi, il s’avère que certaines eaux sont plus égales que d’autres, comme en témoigne la mention d’une « eau encore plus lisse et plus sombre » qu’on aperçoit seulement parfois à la surface du lac. Pour dire cette hyperbole du lisse sur laquelle Thoreau est intarissable, semble-t-il à proportion du sentiment de paix qu’elle lui inspire, l’écrivain recourt au comparatif « smoother » où se lisent en anagramme les signifiants de la mère (« mother »), de l’étouffement (« smother ») et de l’altérité (« other ») de la Chose comme « autre préhistorique20 » du sujet.

  9. Si on a pu avancer précédemment que Walden était, dans cet extrait, le lieu où s’origine le signifiant, on voit donc que le symétrique n’en est pas moins vrai, et que Walden est aussi bien un lieu textuel que hante le signifiant de l’origine à la manière d’une trace anagrammatique. « Here lies one whose name was writ in water » (« ici gît celle dont le nom fut écrit sur de l’eau ») pourrait-on dire ici à la manière de l’épitaphe de John Keats, à condition de mettre justement l’accent sur ce que véhicule de tropisme mortifère ce nom de la mère écrit sur une eau dont le calme toujours retrouvé forme le leitmotiv du texte au point de le faire balbutier aux abords d’une extimité où jouissance et douleur se confondent en « frémissements de joie et [en] tremblements de douleur », et de court-circuiter la métaphore sous-jacente à tout énoncé d’état en évacuant la copule dans l’exclamative « How sweet the phenomena of the lake ! » (littéralement : « combien doux, les phénomènes du lac ! »).

  10. Si dans les précédents développements, l’accent a porté sur l’objet scopique, le lecteur familier de Walden n’ignore pas que le motif de l’écho y occupe une place centrale, et c’est pourquoi il me semble intéressant ici d’examiner le réseau d’échos qui se tissent autour du signifiant « boom » qui, extrait de son contexte immédiat où il véhicule la signification « barrage » (39) sur laquelle je reviendrai dans un instant, s’inscrit dans la chaine de signifiants porteurs de la lettre « o » redoublée. « Boom » est donc relié métonymiquement au signifiant « smooth » qui, tant sur le plan sémantique que formel, donne à l’extrait sa tonalité dominante, et par là, renvoie au signifiant de la mère anagrammatiquement représenté dans la chaine. A ce titre, « boom » appartient à la même isotopie que le mot « écho » en clausule de notre extrait, puisque parmi les nombreuses acceptions du terme figure un sens imitatif du « fracas » que provoque une détonation ou une vague qui déferle, bref d’une sonorité qui fait retentir le vide dans lequel elle surgit. Cet aspect onomatopéique du mot, négateur de la coupure entre signe et référent, en fait un succédané de présence relevant à ce titre de « l’objet a où s’incarne l’impasse de l’accès du désir à la Chose21 ».

  11. De la voix en tant qu’objet (a), Lacan précise dans le Séminaire X que nous « connaissons les déchets, les feuilles mortes, sous la forme des voix égarées de la psychose, et le caractère parasitaire sous la forme des impératifs interrompus du surmoi » (290-291). Intérieure et étrangère, cette voix-objet revêt une dimension d’unheimlichkeit qui me semble caractériser l’irruption, au beau milieu de l’extrait, de la formule « ce poisson meurtrier sera connu ». Cette observation, visuellement isolée du reste du texte par deux tirets, détonne par rapport au reste de l’extrait en ce qu’elle y introduit le motif de la transgression et de la faute qui n’a a priori pas lieu d’être dans un passage à visée principalement descriptive. Rien, semble-t-il, n’appelle cette voix de la conscience à se faire entendre dans le microcosme lacustre de Walden où seule prévaut la nécessité de la survie. Elle apparaît « détachée de son support » (317), selon la formule de Lacan, au double motif de l’incongruité de semblables considérations morales, mais aussi de la dissonance que produit l’irruption d’un lieu commun dans une topologie éco-poétique où tout est fait pour mettre en exergue aussi bien l’absolue singularité d’un lieu que celle de l’écriture qui le dépeint. De fait, l’expression anglaise proverbiale, « murder will out », signifiant qu’il n’est aucun crime qui ne soit tôt ou tard exposé au grand jour, se démarque également du reste de l’extrait par son atypique banalité. Dans le Séminaire X Lacan marque l’articulation du défaut qui constitue la « faute principielle » du désir, à savoir « que le désir soit manque », à la culpabilité, en tant qu’à ce manque, la culpabilité donne un contenu (320). La voix du commandement surmoïque qui, à la manière dont ce proverbe est imparfaitement intégré à la description, « ne s’assimile pas, mais […] s’incorpore », en reçoit pour fonction de « modeler notre vide » (320) pour mieux œuvrer à « la capture de l’Autre dans le réseau du désir » (320), comme le fait l’écho de la sonorité [u :] qui, dans le texte de Thoreau, fait résonner le vide de la Chose, et l’appel surmoïque contenu dans la formule figée « murder will out » qui n’est d’ailleurs pas la première des lettres mortes à rester en souffrance dans cet extrait. Pour autant, le moment d’insolite que représente l’irruption de ce syntagme ne trouble que très brièvement la surface paisible-trop paisible du texte de Thoreau, car « quand on apprivoise les dieux dans le piège du désir, il est essentiel de ne pas éveiller leur angoisse » (321).

  12. S’il renvoie à l’objet vocal, le signifiant « boom » me semble cependant présenter cette particularité qu’il opère à la croisée des axes métonymique et métaphorique. C’est là du moins ce que suggère le problème de déchiffrement que pose la phrase dans laquelle le mot intervient, où la brèche ouverte dans la syntaxe est concomitante à l’émergence d’une signification. La phrase en question est la suivante : « On peut parfois apercevoir une eau encore plus lisse et plus sombre, comme séparée du reste par une invisible toile d’araignée, barrage des nymphes du lac, reposant dessus ». Dans la traduction française comme dans l’original, cette phrase est ambiguë : il est en effet difficile de déterminer si l’apposition « barrages des nymphes » renvoie à la toile d’araignée censée séparer les deux eaux, ou à « l’eau encore plus lisse et plus sombre » qui repose sur cette toile imaginaire. A ce problème d’attribution s’ajoute ce qu’a de rebelle à la représentation l’expression « boom of the water-nymphs ».

  13. Certes, dans le code référentiel de l’extrait, l’interprétation la plus cohérente du mot « boom » est celle de « barrage » ou de « barrière flottante », renvoyant à une particularité visuelle des eaux de Walden où l’élément homogène de l’eau se sépare en strates distinctes dont la dernière, plus sombre et plus calme, semble former une infranchissable frontière séparant le monde humain de celui des naïades fantasmées au fond du lac. Toutefois, avant que cette conclusion ne s’impose, l’opacité de la formule rend nécessaire un parcours du spectre sémantique du terme, notamment de son sens étymologique, dans lequel il désigne un arbre, une poutre, une perche, voire la baume d’un navire. Ce détour est d’autant plus inévitable que là où le génitif, dans la formule « barrage des nymphes du lac », ne suggère qu’un lointain rapport d’appartenance et se prête à une lecture aussi bien subjective qu’objective (à qui est-il fait barrage : à l’éventuel intrus, ou aux nymphes ?), le syntagme « boom of the water-nymphs » produit en anglais une signification beaucoup plus inattendue en raison du caractère nettement plus concret du nom dont « the water-nymphs » est le complément. Avant qu’une lecture contextuelle n’impose le sens de « barrière » ou d’« obstacle », c’est d’abord en tant que bizarre attribut des nymphes que « boom » se donne à entendre. Tout comme sous la barrière flottante se dissimulent les naïades, se profile ainsi en contrejour un sens exclu par le contexte, transformant « boom » en ce que Lacan appelle « signe de la latence dont est frappé tout signifiable, dès lors qu’il est élevé à la fonction de signifiant »22, par où l’on voit que « la métaphore se place au point précis où le sens se produit dans le non-sens23 ».

  14. Pour être fréquenté par les hirondelles, le texte du Thoreau tient aussi du miroir aux alouettes par la séduction qu’il opère sur le lecteur épris de métaphore. Il semble en effet que l’énonciateur ne prenne en charge la métaphore in praesentia initiale, que pour mieux déléguer au lecteur le soin de filer la métaphore in absentia de son choix. Celle-ci ne sera point avare ni haineuse pourvu qu’en assumant le manque de signifiant qui se creuse au cœur du texte, l’interprète en rémunère le défaut en même temps qu’il nomme diverses analogies qui hantent sa lisière.

  15. Ainsi, suivant la suggestion de l’énonciateur qui compare le lac à un œil dans lequel chacun peut sonder ses propres profondeurs, point n’est besoin d’une grande érudition pour reconnaître l’association canonique entre esprit et miroir comme surface réfléchissante, puis entre celui-ci et l’œil comme organe privilégié de la contemplation philosophique.

  16. On peut aussi déchiffrer ce passage comme un questionnement métaphorique sur les limites de cette autre métaphore de l’entendement qu’est la tabula rasa, y observer la transition du modèle épistémologique hérité de l’empirisme lockien vers une appréhension de la psyché comme lieu d’un désir opaque à lui-même dont il faudra encore attendre quelque temps pour que les frayages se déposent sur quelque ardoise magique.

  17. Beaucoup plus près de Thoreau, le lac de Walden où aucune trace ne s’imprime durablement est peut-être aussi la métonymie de l’Amérique, ce grand poème en attente de versification qu’Emerson évoque dans un essai de 1844 où on lit : « L’Amérique est un poème à nos yeux. Sa vaste géographie éblouit l’imagination, et elle ne tardera pas à être mise en vers24. »

  18. A moins que, dans le sillage de la précédente figure, la surface du lac picorée par oiseaux et poissons et traversée par d’innombrables chatoiements, ne soit aussi l’esprit créateur effleuré par l’étincelle de l’inspiration.

  19. Ces hypothèses métaphoriques sont diversement susceptibles d’intéresser l’historien de la littérature. Elles mettent en tout cas en lumière que c’est comme métaphore in absentia, seule véritable métaphore dans la version du trope retenue par Lacan dans « L’instance de la lettre », que le texte s’adresse au lecteur. Ce que dit a minima la diversité des métaphorisés dont je viens de donner quelques exemples, c’est, malgré l’élision de la copule que j’ai proposé de lire comme une défaillance de la métaphore dans les lignes situées en fin de texte où la paix du lac menaçait de se faire trop paisible, une fécondité du trope proportionnelle aux signifiants qu’elle refoule.

 

  1. Force m’est de constater à l’issue du précédent développement que s’il a été question de psychanalyse, de signifiant et de traces éphémères laissées à la surface de l’eau, il n’y a guère a été question de déconstruction et fort peu de trace au sens où Derrida entend ce terme, lui qui précise :

Aussi, comme il va sans dire, la trace dont nous parlons n'est pas plus naturelle (elle n'est pas la marque, le signe naturel, ou l'indice au sens husserlien) que culturelle, pas plus physique que psychique, biologique que spirituelle. Elle est ce à partir de quoi un devenir-immotivé du signe est possible […]25.

  1. On a vu en effet que loin d’ouvrir la possibilité d’un devenir immotivé du signe, Thoreau entreprend plutôt un travail de remotivation de celui-ci. Quant aux traces qui s’observent à la surface de Walden, celles-ci n’ont d’autre valeur qu’indicielle : elles renvoient donc à une présence, si fugace soit-elle, c’est-à-dire à une origine.

  2. Me semble en revanche relever de la trace en tant que « mouvement pur qui produit la différence26 » l’intervalle même qui sépare ces deux écritures. C’est à partir de cet espacement que s’écrit le texte de Thoreau, dans le temps mort qui clive présent de l’observation et présent de l’écriture et qui se réverbère dans le décollement opéré par le recours aux guillemets entourant l’expression « la surface du lac, lisse comme un miroir » par le moyen desquels la surface du texte se dédouble, voire dans la simple figure de la syllepse qui, entre l’arc que décrit le poisson et celui que décrit l’auteur, insère le coin d’une différence qui se creuse entre le même et le même, y compris dans les « lignes de beauté » qui se propagent concentriquement depuis la surface du lac et, sans solution de continuité apparente, jusque dans les lignes d’écriture que Thoreau trace à même la page.

  3. Il y a là d’ailleurs un  singulier pied de nez aux lois de la géométrie que je voudrais tenter d’expliquer brièvement en guise de conclusion, en risquant l’hypothèse qu’écrire en ligne droite ou en cercles concentriques, c’est à peu près la même chose, puisque celui-là même qui trace son sillon à la surface de l’eau troublant par sa trajectoire linéaire les multiples métamorphoses du cercle dont elle est le théâtre, porte encore la signature de celles-ci dans le nom savant que Thoreau prend exceptionnellement la peine de mentionner entre parenthèses, alors que tout le reste de l’extrait est écrit dans un anglais assez courant. Le radical du nom « Gyrinus » est en effet le mot grec gyros qui signifie « cercle ». Une droite qui traverse un cercle par son milieu : ce serait là une définition passable du mot « diamètre » auquel Thoreau a recours lorsqu’il évoque à la phrase précédente la taille des cercles qu’il dit avoir mesurée du haut de son perchoir. La punaise d’eau qui trace son sillon au milieu de tant de cercles imite donc le parcours de l’œil qui évalue leur empan — à moins que par son mouvement linéaire l’insecte n’ait au contraire inspiré à l’observateur l’idée de mesurer les ondulations.

  4. Il est à peu près impossible ici de démêler ce qui répète de ce qui est répété, tout comme il est d’ailleurs malaisé de distinguer contenu et contenant : en effet, s’il est vrai que le cercle (gyros) est dans le mot (« Gyrinus »), il est également vrai que le mot (« Gyrinus ») est dans le cercle qu’esquissent les deux parenthèses qui entourent le mot latin. Ce signifiant ainsi réduit à la matérialité de ses lettres accentuée par les italiques qui, en les inclinant, semblent aussi leur imprimer un peu du mouvement « incessant » qui propulse l’insecte, est ramené au simple tracé qu’il dessine entre les deux signes de ponctuation circulaires qui le bordent symétriquement. Difficile, dès lors, de décider qui, de l’observateur ou de l’observé, de Thoreau ou de la punaise d’eau, signe le texte.

  5. Et ce n’est pas le dernier exemple de dislocation des cadres, comme en témoigne l’irruption incongrue des « travaux des hommes » qui, au terme de notre extrait, crée un effet identique à celui que Thoreau nomme lui-même lorsqu’il évoque un « vase plein d’eau » que l’on a secoué. Le signifiant « jar » dit d’abord la discordance, la non-identité à soi, dont relève sans doute la discontinuité introduite dans l’évocation des « paisibles phénomènes du lac » par cette référence au labeur humain que rien ne justifie à cet endroit du texte, d’autant que la phrase suivante, censée corroborer cet énoncé inattendu auquel elle est reliée par le mot-charnière « Ay », n’entretient avec lui aucun lien logique manifeste, mais renoue au contraire avec la thématique dominante : « oui, chaque feuille, chaque brindille, chaque pierre et chaque toile d’araignée scintille maintenant, au milieu de l’après-midi, comme par un matin de printemps lorsqu’elles sont couvertes de rosée. » L’écriture devient ainsi sa propre métaphore. Le contenant qu’est le vase, que le texte contient triplement, au sens littéral en tant que partie du tout formé par le texte lui-même, en tant que mise en abyme du cadre naturel de Walden ramené aux dimensions d’un simple vase, enfin en tant que contenu dans les limites de l’analogie, le contient tout autant dans la mesure où ses bords et l’eau agitée qu’ils enserrent renferment aussi la discordance comme trait définitoire de l’écriture thoreauvienne dans ces lignes dont l’uniformité thématique est brusquement troublée par l’émergence du motif du labeur humain.

  6. Autrement dit, l’écrit (la comparaison avec le vase) contient l’écriture qui le produit par une inversion des cadres du reste programmée par la contorsion infligée au regard au tout début de l’extrait, où l’énonciateur nous invitait à lire la tête en bas. Je me risquerai à conclure que c’est au prix de cette gymnastique qu’il nous devient possible d’envisager l’hypothèse que ce déchirement infligé à la topologie textuelle relève du paradoxe lacanien de l’extimité comme déhiscence, mouvement de retournement sur lui-même du cadre situant le temps de la Chose dans l’entre-deux présents qui sépare une écriture d’une écriture.

 

Bibliographie

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Annexe

A lake is the landscape's most beautiful and expressive feature. It is earth's eye; looking into which the beholder measures the depth of his own nature. The fluviatile trees next the shore are the slender eyelashes which fringe it, and the wooded hills and cliffs around are its overhanging brows.

Standing on the smooth sandy beach at the east end of the pond, in a calm September afternoon, when a slight haze makes the opposite shore-line indistinct, I have seen whence came the expression, "the glassy surface of a lake." When you invert your head, it looks like a thread of finest gossamer stretched across the valley, and gleaming against the distant pine woods, separating one stratum of the atmosphere from another. You would think that you could walk dry under it to the opposite hills, and that the swallows which skim over might perch on it. Indeed, they sometimes dive below this line, as it were by mistake, and are undeceived. As you look over the pond westward you are obliged to employ both your hands to defend your eyes against the reflected as well as the true sun, for they are equally bright; and if, between the two, you survey its surface critically, it is literally as smooth as glass, except where the skater insects, at equal intervals scattered over its whole extent, by their motions in the sun produce the finest imaginable sparkle on it, or, perchance, a duck plumes itself, or, as I have said, a swallow skims so low as to touch it. It may be that in the distance a fish describes an arc of three or four feet in the air, and there is one bright flash where it emerges, and another where it strikes the water; sometimes the whole silvery arc is revealed; or here and there, perhaps, is a thistle-down floating on its surface, which the fishes dart at and so dimple it again. It is like molten glass cooled but not congealed, and the few motes in it are pure and beautiful like the imperfections in glass. You may often detect a yet smoother and darker water, separated from the rest as if by an invisible cobweb, boom of the water nymphs, resting on it. From a hilltop you can see a fish leap in almost any part; for not a pickerel or shiner picks an insect from this smooth surface but it manifestly disturbs the equilibrium of the whole lake. It is wonderful with what elaborateness this simple fact is advertised — this piscine murder will out — and from my distant perch I distinguish the circling undulations when they are half a dozen rods in diameter. You can even detect a water-bug (Gyrinus) ceaselessly progressing over the smooth surface a quarter of a mile off; for they furrow the water slightly, making a conspicuous ripple bounded by two diverging lines, but the skaters glide over it without rippling it perceptibly. When the surface is considerably agitated there are no skaters nor water-bugs on it, but apparently, in calm days, they leave their havens and adventurously glide forth from the shore by short impulses till they completely cover it. It is a soothing employment, on one of those fine days in the fall when all the warmth of the sun is fully appreciated, to sit on a stump on such a height as this, overlooking the pond, and study the dimpling circles which are incessantly inscribed on its otherwise invisible surface amid the reflected skies and trees. Over this great expanse there is no disturbance but it is thus at once gently smoothed away and assuaged, as, when a vase of water is jarred, the trembling circles seek the shore and all is smooth again. Not a fish can leap or an insect fall on the pond but it is thus reported in circling dimples, in lines of beauty, as it were the constant welling up of its fountain, the gentle pulsing of its life, the heaving of its breast. The thrills of joy and thrills of pain are undistinguishable. How peaceful the phenomena of the lake! Again the works of man shine as in the spring. Ay, every leaf and twig and stone and cobweb sparkles now at mid-afternoon as when covered with dew in a spring morning. Every motion of an oar or an insect produces a flash of light; and if an oar falls, how sweet the echo27

1 Pour la commodité du lecteur, ce texte est reproduit en annexe.

2 J. Edwards, Images or Shadows, 355.

3 M. Granger, Henry D. Thoreau, 72.

4 M. Granger, Henry D. Thoreau,  73.

5 Y. Depelsenaire, « Vingt flashes sur l’apparence »,  75.

6 J. Derrida, L'Écriture et la différence, 340.

7 http://www.lacanchine.com/Laurent_01.html

8 É. Laurent écrit à ce propos : « Nous avons donc […] inscription et trace de quelque chose qui est primaire et qui dépasse toutes les significations en jeu, et chaque fois c’est ce recueil, cet accueil même de la jouissance dans la lettre, dans l’écriture, qui vient s’inscrire. » (http://www.lacanchine.com/Laurent_01.html)

9 J. Lacan, Séminaire XI, 100.

10 J. Lacan, Séminaire X, 278.

11 J. Lacan, Séminaire XI, 89.

12 J. Lacan, Séminaire XI, 89.

13 J. Lacan, Séminaire XI, 79.

14 J. Lacan, Séminaire XI, 105.

15 Je corrige la traduction de Germaine Landré-Laugier.

16 Y. Depelsenaire, « Vingt flashes sur l’apparence », 74.

17 J. Lacan, Séminaire XI, 102-3.

18 J. Lacan, Le Séminaire IV, 155-6.

19 B. Baas, De la chose à l’objet, 81.

20 J. Lacan, Le Séminaire VII, 87.

21 J. Lacan, Séminaire X, 313.

22 J. Lacan, Écrits, 692.

23 J. Lacan, Écrits, 509.

24 R. W. Emerson, « The Poet », 465.

25 J. Derrida, De la grammatologie, 69-70.

26 J. Derrida, De la grammatologie, 92.

27 H. D. Thoreau, Walden (1854), ch. IX, « The Ponds ».



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