Un accent d'enfance
Résumé
Tout au long de son œuvre, Lyotard s’est interrogé sur l’enfance, la considérant comme un rapport général , qu’il renomme infantia, transitif à tout âge.
Puissance d’apparition, don pour la fiction, prédilection pour la valeur du comme-si, l’enfance se dérobe au motif de la survie. Récusant d’avance la mélancolie, son affirmation se soustrait à l’opposition pulsionnelle vie-mort, sans que l’on puisse lui faire jouer le rôle d’un salut. Expression alertée du vertige d’être né , elle est la cible même de toute terreur politique qui s’applique à l’étouffer.
L’infantia fait entrevoir le mystère par lequel toute communication s’ajointe avec l’incommunication, la façon dont « le transitionnel », dont nous parle Winnicott, à condition de formuler la bizarrerie de son espace, n’a plus rien d’un passage de l’un à l’autre. Tout autrement qu’une médiation, elle est passation oblique — et métamorphose au passage — d’une dissension intérieure, sans dialogue et rien pour l’unifier. Témoignage crucial du différend interne, elle révèle, à même toute interlocution orale apparemment symétrique, l’adresse cryptée à de l’inconnu pluriel, et se trouve, par là, au plus près des inventions d’écriture.
Le tort fait à l’enfance, son forçage ou son viol serait de la contraindre à la symétrie de l’interlocution, attenante à la division sexuelle. A travers la notion de « phrase-affect », Lyotard pense ce trait où, plus loin que ne le pense Ferenczi lui-même, car déjouant les règles d’une langue quelconque et les repères de la détermination affective, l’enfance atteint le trait de jointure entre la phrase et l’affect nu, ce point où la distinction devient indécidable. « Phrase » dit Lyotard, pour en nommer allusivement (par une justesse de métaphore) ce qui y affleure de parole atypique.