La théorie des Vagues : lecture anachronique

Résumé

Parmi les romans de Virginia Woolf, Les Vagues (1931) est celui dont la structure formelle est la plus expérimentale. Il est fait de deux sortes de discours qui sont juxtaposés : les dix "interludes" au passé répartis dans le roman et décrivant les vagues qui se brisent à différents moments de la journée et à différentes saisons, et les "soliloques" (c'est ainsi que Woolf les désignait) des six personnages à différents moments de leurs vies. Les soliloques sont insérés entre des guillements et sont au présent. Mais au juste qui ou qu'est ce qui parle dans les interludes en italiques, d'où et quand? A qui ou à quoi sont adressés les soliloques? Quel est celui ou ce qui énonce -et parlant d'où et quand- "dit Bernard", "dit Jinny", "dit Susan" et ainsi de suite pour chacun des soliloques insérés entre guillemets? Quelles sont au juste les hypothèses interprétatives les plus adéquates et les plus succinctes pour rendre compte des étranges caractéristiques stylistiques du roman Les Vagues? La réponse la plus simple est que Les Vagues présuppose une vaste banque de mémoire impersonnelle qui stocke tout ce qui a pu déjà avoir lieu, chaque pensée et chaque sentiment de chacun, mais exprimé dans un langage adapté, comprenant les figures de style pour les sensations et les sentiments qui ne peuvent pas être exprimés littéralement. Quelque part, ce discours intérieur interminable continue de se dérouler interminablement. La voix narrative est le médium à travers lequel les personnages parlent, prélevant sur cette "banque de mémoire" universelle. Des passages tirés du journal de Woolf ou de “Esquisse du passé” (dans Instants de vie) confirment cette hypothèse.

Plusieurs philosophes, théoriciens critiques et romanciers ont des théories qui sont semblables, quoique non identiques, au concept de la "banque de mémoire" universelle de Woolf : Edmund Husserl, Henry James, Maurice Blanchot, Jacques Derrida, and Wolfgang Iser.