"Le fil sinueux" : sur la rationalité du roman
Résumé
La fiction, selon Aristote, est un enchaînement d’actions selon la nécessité ou la vraisemblance. Elle constitue un tout dont l’organisation s’oppose à la succession empirique des choses comme elles arrivent. Dans son essai « Modern Fiction », Virginia Woolf retourne l’opposition. Elle oppose à la tyrannie mensongère de l’intrigue la vérité de la vie, qui est celle d’une pluie d’atomes incessante. Mais comment faire de cette pluie d’atomes le principe d’une fiction liée ? Flaubert avait doublé la logique causale des intrigues par la logique des phrases engendrant les événements comme une nuée d’événements sensibles coexistant. Virginia Woolf évoque par la bouche d’un de ses personnages un « lien vagabond, unissant légèrement une chose aux autres ». Mais ce lien reste un rêve. Il est impossible de construire la fiction comme expression du « halo lumineux » qui sert d’enveloppe aux événements sensibles. Elle requiert toujours une forme de compromis entre des logiques divergentes. Si la deuxième partie de La Promenade au Phare se présente comme un halo d’événements sensibles, clairement séparé des événements familiaux qui sont la matière ordinaire de la fiction, la troisième raconte une histoire de réconciliation entre père et enfants rebelles qui est aussi une réconciliation avec la tyrannie paternelle de l’intrigue. Et la journée de Mrs Dalloway ne peut se construire comme la simple expansion des mouvements et des perceptions de Clarissa Dalloway. Il faut, pour construire le livre , opposer à ce cours heureux la tragédie de Septimus , le « fou » qui transforme les événements sensibles en signes d’une religion nouvelle et réintroduit ainsi la tyrannie de l’intrigue en même temps qu’il succombe à celle des médecins. L’ontologie de la fiction moderne est moniste. Mais sa pratique ne peut être que dialectique.