Parole pleine / parole vaine, ou de l'implication du sujet dans sa parole : le cas Norman Mailer
Résumé
Choisir d'évoquer le cas Norman Mailer, c'est se demander ce que l'on peut apprendre d'un écrivain qui n'a jamais cessé d'interroger plus ou moins bruyamment la force signifiante du langage. Entre fiction et histoire. Entre expérience performative du discours et recherche d'une parole dont le sujet parlant puisse répondre.
On s'arrêtera, pour les termes dans lesquels se formule la question, au récit dans The Armies of the Night de la participation d'un certain "Mailer" à la marche sur le Pentagone d'octobre 1967 contre la guerre au Vietnam.
Récit d'un événement ayant fait date dans l'histoire socio-politique des Etats-Unis, The Armies of the Night parle aussi de la nature problématique de l'agir dont relève le discours, est une mise en crise de l'appropriation de ce même événement. Dans un discours prêt à se risquer comme parole en pure perte au bénéfice d'une hypothétique (re)conquête.
A preuve la comédie de l'énonciation sur laquelle s'ouvre le récit, ou comment imposer sa signature; le rôle de l'adresse et son poids dans le dispositif d'un texte qui désire aussi explicitement se faire recevoir; le discours "improvisé" réinterprété, entre autres exemples de réinscription, par sa transcription narrative; ou encore les reports qu'opère le discours d'une partie de la signification sur l'énergie de la voix.
L'invention du personnage "Mailer", cette complexe image de soi, est bien entendu cruciale. Conscience livrée aux sollicitations multiples de l'événement et tendue entre le successif et le simultané, mais aussi entre le doute et l'adhésion, entre la vision du Romancier et les exigences de l'Historien. Sauf que ce dernier ne reste pas longtemps maître du jeu et, dans un de ces retournements dont Mailer est coutumier, laisse la conclusion, qui est "mystère", à la charge du Romancier et à sa vision millénariste de l'histoire américaine.
La même interrogation, la même inquiétude est partout présente. Comment prendre la parole, l'assumer et défendre ce lien signifiant? Un lien éthique et politique, et non seulement cognitif. De sorte que l'homme doit, pour parler, se mettre en jeu dans sa parole. On verra cependant que le sujet (dernier chapitre: "The Metaphor Delivered") maintient ici finalement l'équivoque quant à la nature exacte de son implication.
Selecting Norman Mailer as a case study is asking what one can learn from the work of a writer whose central challenge always was, in his continuing engagement of the complexities of the American scene, to put to the test the signifying force of language. Between fiction and history. Between the performativity and accountability of one's discourse.
This paper focuses on The Armies of the Night and the terms in which it accounts for the participation of one 'Mailer" in the March on the Pentagon of October 1967 against the Vietnam War. Telling of an event which was a landmark in the socio-political history of the United States. The Armies of the Night is also about all that tends to interfere with one's appropriation of it: the relationship of discourse to action, the problematic nature of language, the risk-taking involved in discursive ventures.
Witness, among other things, the comedy of the incipit on how to authenticate one's text; the role of address and name-calling; the status of "extempore" speech and how to reinterpret it through its narrative transcription; or again how to transfer part of the signifying process to the energy of the voice.
The invention of the Mailer persona with its commitment to self-scrutiny was of course crucial. A consciousness faced with a multi-faceted, multi-layered event, divided between sequence and synchrony, but also between doubt and approval, between the Novelist's vision (of a "mystery") and the demands of the Historian. Except that the latest isn't allowed to hold the field very long and, which shouldn't come as a surprise, leaves it to the Novelist and his millenarist vision of American history to conclude.
The question is the same throughout: how to appropriate the power of speech, assume responsibility for it and defend that signifying link. A link which is ethical and political, and not merely cognitive.
It will appear, however, that the concluding pages of Mailer's analysis are not, in this respect, unequivocal and that they leave pending the question of the exact nature of the subject's implication in his own pronouncements.